Après des siècles d’arts dédiés aux puissants, qu’ils soient militaires, civils ou religieux, voici qu’au cours du XIXème vient le désintérêt pour les tableaux édifiants d’un Napoléon triomphant, de portraits de gens biens et riches, de paysages idylliques et bucoliques,… les artistes commencent à trouver leur inspiration dans la vraie vie auprès des ouvriers, ceux qu’on appelait à l’époque, les prolétaires, les petites gens, les moins que rien. Ceux qui n’avaient d’autre choix que de trouver de l’ouvrage dans les centres urbains industrieux où le droit du travail n’était pas encore né, où chômage, sécurité sociale, retraite, congé payé (ou non), syndicat, grève… étaient mots inconnus, interdits.
L’industrialisation naissante bouleverse la condition des si mal lotis. Les pauvres de père en fils, de mère en fille, sans éducation, sans soins, esclaves exploités depuis toujours. Ces misérables deviennent alors objets utiles, outils producteurs et valeur marchande aux yeux des industriels et des grandes exploitations agricoles naissantes grâce au développement de la force motrice mécanique. On remarque donc cette main d’œuvre servile même si on ne veut pas la voir.
Vers 1850, la condition de ces travailleurs commence réellement à changer et les artistes posent alors sur ce changement de paradigme leur regard perçant et bienveillant.
La description par la sculpture, la peinture ou la littérature des conditions de vie du monde ouvrier devient sujet artistique. Le but des artistes tels, pour les plus connus, Victor Hugo ou Emile Zola en littérature, Signac, Caillebotte, Fernand Léger en peinture, Fritz Lang avec Métropolis, Charlie Chaplin avec Les Temps Modernes en cinéma, tous ces créateurs, qui ont le cœur à gauche et la conscience des ravages de l’exploitation des pauvres par les riches, est de faire prendre conscience à tous, du sort bien peu enviable de l’ouvrier et du paysan dans leur dur labeur. Ils sont décrits de manière crue, dans la tristesse de leur vie quotidiennement exploitée et la réelle pénibilité de leur ouvrage.
Le courant d’art réaliste étant de magnifier sans dénaturer, des œuvres majeures voient le jour en même temps que naissent les nécessaires premiers syndicats et partis d’ouvriers.
Chef de file de ce mouvement artistique, Constantin Meunier se distingue par ses toiles et ses sculptures dédiées aux prolétaires des mines, aciéries, haut-fourneaux, halages et verreries du Borinage belge. Par ses sculptures Meunier nous montre avec réalisme ces hommes courageux, mais épuisés, au regard vide, hagards de fatigue, comme absents.
Pour chacun de ses sujets sculptés, marteleur, puddler, débardeur, mineur, semeur, forgeron,… l’artiste choisit de ne représenter qu’un seul homme, au repos. Il peut ainsi le magnifier, exposer sur toutes ses facettes l’attitude caractéristique du métier, la puissance des muscles, l’expression du regard, la beauté de l’âme. Et nous donne ainsi à voir une représentation symbolique exempte de toute anecdote. A Paris Georges Clemenceau le félicite d’avoir «rendu l’épopée du travail avec une puissance inouïe». Sur le pont Roi Baudouin à Charleroi, on peut admirer une de ses plus belles sculpture, le Mineur Accroupi.
En peinture Meunier abandonne le sujet symbolique, il traite les travailleurs en groupe et en pleine action, comme le feraient les reporters-photographes d’aujourd’hui. On imagine le bruit, les cris, le feu, la chaleur, le danger, l’atmosphère lourde de vapeurs toxiques. Il nous laisse à voir dans ses compositions esthétiques et réalistes, des conditions de travail dangereuses, infernales et dantesques heureusement révolues,… du moins chez nous.
A New York, pendant la grande récession, sur ce qui était alors un jardin botanique à l’abandon depuis des décennies et appartenant depuis 1814 à l’Université Columbia, la famille Rockfeller investit une grande partie de sa fortune dans la construction d’un large complexe immobilier. Edifié en une dizaine d’années selon les plans de l’architecte Raymond Hood, le Rockfeller Center comprend aujourd’hui 19 buildings. Le projet donna du travail à 4000 ouvriers et à pas moins de 39 artistes américains et internationaux. Véritable musée Art-Déco, libre d’accès, il offre à voir une centaine d’œuvres de qualité exceptionnelle dont les trois plus connues Atlas de Lee Lawrie, Prométhée de Paul Manship et News d’Isamu Noguchi.
Mais c’est du monde ouvrier que nous parlons aujourd’hui, entrons alors dans le grand hall du Comcast Building (à l’origine RCA building), le plus grand des 14 bâtiments construits dans les années 30, qui se dresse juste en face du Channel. L’entrée se fait sur la Rockfeller Plaza, là où chaque année, fin novembre depuis 1931, est érigé le plus majestueux sapin de la ville.
Ce hall gigantesque et luxueux, les Rockfeller le voulaient recouvert de peintures à la gloire des travailleurs. Ils avaient souhaité confier ce travail à Picasso ou Matisse mais cela ne put se faire. Diego Rivera, artiste mexicain fut alors choisi mais une représentation de Lénine dans son projet suscita la désapprobation des commanditaires. Finalement la mission a été confiée à José Maria Sert, artiste espagnol et à Frank Brangwyn, Anglais né à Bruges (!). Leur briefing était limpide. Utilisation du blanc, gris et noir uniquement. L’œuvre devait rendre hommage au travail, à la libre entreprise, à la maîtrise de la technique par l’homme, à ceux qui ont construit les USA. Le résultat est magnifique par sa composition, les sujets traités, la qualité du dessin et la grandeur générale de l’œuvre qui couvre murs et plafonds.
On remarque, au milieu des ouvriers au travail, chapeau sur la tête, Abraham Lincoln, en maître d’ouvrage, juste hommage à celui qui rêvait de voir tous les hommes libres.
Verrons-nous un jour les artistes d’aujourd’hui rendre hommages aux exploités de notre civilisation du smart & click actuelle? Ceux qui sont si nombreux dans les centres de distribution du commerce en ligne, sur leur vélo à livrer des pizza tièdes, dans leur voiture-taxi à espérer une course ou parqués dans les usines textiles à flux tendu. Car en réalité, rien de change vraiment.
LE SAVIEZ-VOUS ?
En 1937 se tient à Paris l’Exposition internationale des «Arts et des Techniques appliqués à la Vie moderne». 55 bâtiments sont construits autour de la Tour Eiffel, sur le Champ de Mars et le Trocadero. De part et d’autre de la tour en bordure de Seine, se dressent deux gigantesques pavillons. Celui de l’Allemagne haut de 54 mètres, conçu par le tristement célèbre Albert Speer, architecte en chef du parti nazi, est surmonté d’un aigle statique tenant une croix gammée dans ses serres. Face à lui, le pavillon de la jeune URSS, moins haut mais tout aussi imposant avec ses 160 mètres de long, est surmonté d’une statue immense représentant un couple en élan, musclé et dynamique. Lui en bleu de travail tenant un marteau, elle en robe de paysanne, une faucille à la main. Allégorie de l’union éternelle de la classe ouvrière et de la paysannerie en Union soviétique. L’administration de l’exposition aurait-elle intentionnellement placé ces deux pavillons face à face ?
Tout en inox étincelant au soleil, l’Ouvrier et la Kolkhozienne semblent braver l’aigle nazi. Il faut dire que les Allemands avaient attendu la fin de la construction du pavillon soviétique pour pouvoir rehausser le leur de 10 mètres afin que l’aigle soit plus haut, comme preuve de la supériorité de l’idéologie nazie sur l’idéologie communiste. Mauvais joueurs, vrais perdants!
Fruit d’un concours remporté par Vera Ignatievna Moukhina alors âgée de 47 ans, le projet original de l’Ouvrier et la Kolkhozienne est réalisé en plâtre et mesure 1,5 mètres de haut. Il est ensuite peaufiné et coulé en bronze, servant de modèle définitif. Ce travail est pris en mains par une équipe d’une vingtaine d’ingénieurs qui se charge de la réalisation des moules dans lesquels on coule l’acier inoxydable, alliage fer-chrome-nickel, dans les ateliers de l’Institut mécanique et de l’industrie métallurgique. La sculpture créée dans un style Art Déco, teinté des codes artistiques du Réalisme Socialiste imposé par Staline en 1934, est haute de 25 mètres et pèse 80 tonnes. Les plaques en acier qui la composent sont transportées par bateau à Paris, puis là, soudées ensemble sur une structure en bois.
L’exposition ferme ses portes le 25 novembre 1937 et la statue est démontée pour être transportée à Moscou où sa place l’attend au Centre Panrusse des Expositions qui doit ouvrir ses portes en 1939. Malheureusement des éléments sont endommagés durant le transport et une réplique provisoire est construite et édifiée. Il faudra attendre 1979 pour que les pièces originales soient en partie restaurées puis enfin finalisées en 2003. Toutefois, à cause d’un problème de financement, la sculpture est restée démontée plus longtemps que prévu. Elle a finalement retrouvé son piédestal (10 mètres plus haut que l’original) le 28 novembre 2009, les Russes ayant reconstruit à l’identique le pavillon de 1937. On peut ainsi la voir encore aujourd’hui sur Prospekt Mira, l’avenue longue de 8 km au bout de laquelle se trouve le Centre Panrusse des expositions, toujours actif.
La prochaine fois que vous visiterez Moscou (mais avec Vladimir qui fait son Adolf, c’est pas demain la veille!!!), prenez le métro ligne 6, Kaloujsko-Rijskaïa, et descendez à la station PVDNKh, là tout près en face de l’Hôtel Cosmos, au pied de la grande statue du Général de Gaulle, cherchez le petit stand touristique du camarade Yvan-Louka Mélenchoneshky et achetez-lui sa plus célèbre boule à neige. Cela vous fera un beau cadeau pour Noël.
Comme quoi : telle une Libre Liane qui s’enroule infiniment, autour d’un axe, vers les sommets à peine entrevus,
l’Histoire à chaque spirale repasse les plats!
Amicalement Françoise
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Alors que l’Homme a marché sur la lune ! la misère ouvrière existe hélas toujours dans certains pays !
À part la sculpture soviétique « marteau et faucille » , je ne vois pas de représentation des Femmes dans les œuvres , très belles, des autres artistes !?
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