«C’est ici, sur la colline des Lauves, parmi les objets qui lui étaient chers, les modèles de ses ultimes natures mortes, son mobilier, son matériel de travail, que vous ressentirez avec le plus d’intensité la présence du peintre.»

Voici ce qui est écrit sur le site dédié à Paul Cézanne, invitation à visiter sa maison et son atelier, là où il vécut les cinq dernières années de sa vie, là où il peignit des chefs-d’œuvre. Cet atelier d’artiste n’est pas le seul ouvert à la visite.
Il y a, à Majorque, celui de Joan Miro. A Paris ceux d’Eugène Delacroix, d’Ossip Zadkine ou de Gustave Moreau. A New York, la Factory, atelier d’artiste créé par Andy Warhol et à Long Island, celui de Jackson Pollock et son épouse Lee Krasner. A Mexico, celui de Frida Kahlo. A Bruxelles celui de Magritte… et bien d’autres partout dans le monde. Que ce soit le lieu réel, là où travaillait l’artiste, ou reconstitué à l’identique comme on en voit dans les musées, Hokusai à Tokyo, Claudel/Rodin, Brâncuși ou Giacometti à Paris, Hopper à New York (filmé ici chez lui), les ateliers d’artistes fascinent.
Les œuvres des «grands» atteignent aujourd’hui des prix exorbitants, alors découvrir le lieu qui les a vues se créer, le chevalet qui les a porté, les pinceaux ou burins qui les ont fait naître, l’ambiance et la lumière qui y règne, tout cela captive. Car le mystère de la création interroge tout un chacun. Comment avec si peu de choses, certains, trop rares, arrivent-ils à créer des merveilles, à révolutionner l’art, à réinventer le monde. Cette alchimie qui transforme, sur une toile ou un papier, un peu de couleur en une image iconique ou qui fait naître d’un peu de terre glaise, de morceaux de métal ou d’une pierre brute, une forme harmonieuse inédite, émerveille toujours.

Picasso a créé dans plus de dix ateliers, il peignait partout, tout le temps, seul ou en présence d’autres, rien ne l’arrêtait. Il ne se formalisait pas, aimait le désordre, vivait entouré de ses œuvres, finies ou en gestation. D’autres artistes préfèrent la solitude, l’exigent même, ou, comme Pierre Soulages, qui crée dans un ordre aussi parfait que possible. Magritte peignait dans son salon petit bourgeois, en costume-cravate. Dans l’atelier de Jackson Pollock, bien connu pour ses créations en « dripping », le parquet est lui aussi devenu au fil des ans – presque – une œuvre d’art. Salvador Dali, dont le style est aussi précis que les grands maîtres flamands, peignait dans une propreté quasi chirurgicale et toujours élégamment vêtu.

De nombreux artistes se sont fait photographier dans leur studio, mais peu occupés à créer. On peut le comprendre, la création est affaire intime qui veut garder son mystère et se cacher aux yeux profanes. Ces mêmes yeux qui viennent admirer ces ateliers d’artistes, réels ou recréés, quand leurs propriétaires s’en sont allés de l’autre côté de la toile.
L’attrait pour les lieux de création, ces maternités de l’art, ne s’arrête pas aux peintres et sculpteurs disparus, la littérature et la musique ont aussi leurs adeptes. Pour ces derniers, une visite du premier studio d’enregistrement de la Motown à Detroit, Michigan, s’impose. C’est là que Little Stevie Wonder, Michael Jackson, Diana Ross et les Supremes, les Four Tops, et tant d’autres on commencé leur carrière.

Mais le plus célèbre se trouve à Londres, le studio EMI, créé en 1931. Il doit sa réputation mondiale aux Beatles qui décident d’appeler leur onzième et dernier album Abbey Road, référant à la rue où se situent les studios, et de se faire photographier sur le passage piéton devant le bâtiment, en août 1969, pour la pochette de cet album. Le passage piéton de la rue est devenu mondialement célèbre et reste depuis près de 50 ans un véritable lieu de pèlerinage (on peut le suivre via une webcam). En raison du succès fulgurant du disque, les studios changèrent de nom, et s’appellent depuis lors «Abbey Road Studios».

Les amoureux des livres et des écrivains sont nombreux à visiter les demeures où sont nées les œuvres littéraires. Il en existe plus de 100 en France comme celles de Rousseau, Aragon, Daudet, Chateaubriand, Cocteau, Zola, Proust, Balzac, Dumas, Colette, Mallarmé, Prévert, Rostand et bien sûr Hugo, dont la maison, au cœur de Paris place des Voges se visite. Comme il est dit sur le site de cette demeure : «Entrez dans l’intimité de Victor Hugo. Devenez familier de l’homme, de l’artiste visionnaire, du penseur engagé et bien sûr de l’écrivain de génie. Parcourez les lieux où il a vécu et qu’il a lui-même façonnés. Ses dessins, ses décors, les œuvres que son imagination a fait naître sont là pour vous guider : l’œuvre universelle de cet «homme océan» a jeté l’ancre à Paris et à Guernesey.»
Est-ce suffisant ? Non bien sûr car voir les outils, les lieux, les gestes des artistes, quelle que soit leur discipline, ne donne du talent à personne, car la créativité n’est point affaire matérielle mais bien cérébrale.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Il n’a pas fallu longtemps au peintre Georges Mathieu (1921-2012), considéré comme père de l’abstraction lyrique qui se distingue par une liberté absolue du langage plastique et par l’utilisation de techniques de dripping ou tachisme (jets de peinture), pour qu’il sorte ses électriques moustaches de son atelier en réalisant dehors, dès 1954, des performances artistiques, souvent minutées.
Mathieu peignait directement avec des tubes de peinture qu’il pressait sur un support, geste multi décuplé de ce que chacun fait le matin avec son dentifrice.
En 1956 au théâtre Sarah-Bernhardt à Paris, devant près de 2 000 spectateurs, il crée un tableau de 4 × 12 mètres en utilisant au moins 800 tubes de peinture.

Son style, qui s’inspire de l’art de la calligraphie japonaise, plaît énormément au pays du soleil levant. André Malraux disait de lui en 1950 « Enfin un calligraphe occidental ! ». Voilà donc Mathieu invité par le grand magasin Daimaru à Tokyo et à Osaka pour une série de performances. Il les exécute sur le toit du bâtiment et parfois dans les vitrines. En septembre 1957, en 3 jours il réalise 21 tableaux, certains même en quelques minutes. Vêtu d’un kimono blanc – pour séduire les japonais – il cabriole et fait des gestes démesurés, tourbillonnant, tubes ou brosses en main, pour créer des œuvres gigantesques de plus de 8 mètres de large, dont lui seul à le secret. Mathieu recherche la vitesse d’exécution, la spontanéité, la prise de risque, l’improvisation comme dans le free jazz. Parfois même accompagné de musiciens et de danseurs locaux. Un vrai showman qui adorait peindre en public ou devant les caméras.
Il aime aussi le contact direct avec la toile, charnel presque. Il terminait ses prestations couvert de peinture, tel un toréador, en une sorte de bataille entre lui, les couleurs et la toile. D’ailleurs les noms de ses œuvres sont parfois tirés de l’histoire comme par exemple : La bataille de Hastings – La bataille de Bouvines, L’Election de Charles Quint,… Quand, en 1958, il veut peindre en public à New York, cela lui est interdit et les galeries de la ville refusent de l’exposer. Jalouses de son succès.
Le peintre s’est aussi commis dans d’autres disciplines, moins nobles mais plus connues du grand public. On lui doit une série d’affiches pour Air France, des décors de céramiques pour la Manufacture de Sèvres, le logo d’Antenne 2, le trophée des 7 d’or et, son œuvre la plus reproduite est le dessin de la pièce de 10 francs français, en circulation de 1974 au passage à l’Euro, tirée au total à environ 800 millions d’exemplaires. Qui dit mieux ?
Dans les années 80, sa flamboyante étoile s’est ternie et son style est passé de mode… jusqu’à quand ?
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magnifique, comme d’habitude
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