Les 5 visages de la mort (I)

Notre civilisation de plus en plus technologique, à défaut d’être suffisamment humaniste, semble refuser la mort, comme si celle-ci était un affront à la science. Pourtant 55 millions de personnes meurent chaque année. Avec la pandémie actuelle, on compte les morts, scientifiquement, avec courbes et pourcentages… mais en évitant de les montrer. On s’offusquait même des images télévisées de camions militaires transportant les dépouilles des premiers Italiens victimes de la Covid. Pourtant on ne voyait que des camions, et non des cadavres. Le tabou est coriace. La mort naturelle ou accidentelle, celle qui survient par manque de moyens, on la cache. La mort sanglante, fruit venimeux de la guerre ou du terrorisme, on la laisse à voir. Certains même s’en délectent dans leurs jeux vidéo qui les font terminators en pantoufles. Etrange paradoxe.

Jadis, la mort faisait partie de la vie. On mourait souvent chez soi, en famille, entouré, proprement, naturellement, sans tuyaux, sans chimie, sans temps additionnel inutile, mais on mourait quand même. Les artistes n’hésitaient pas à la montrer, elle aussi, comme la vie et l’amour. La religion catholique y était pour beaucoup. Son symbole majeur n’est-il pas un être encore vivant, à l’agonie, crucifié? Déjà au Moyen-âge on représentait la mort comme menace, obligeant le croyant à vivre dans le droit chemin au risque de se faire surprendre par la camarde en état de péché, passeport assuré pour les flammes de l’enfer. On a tous vu ces martyrs percés de toutes parts, ébouillantés, écorchés, décapités… on a tous vu ces scènes de batailles au glaive hardi. Les musées et les murs des églises en sont remplis.

Restons civils et observons 5 œuvres qui traitent de la mort de façon plus moderne. Un meurtre politique, un suicide, le dernier soupir de l’aimée, une première photo d’un défunt illustre, un crâne luxueux…  

DAVID MARATLe meurtre.

Jacques-Louis David, fan de Napoléon et quelque peu embellisseur d’histoire (voir Napoléon, inventeur de la fake-news ?) peint en 1793 «la Mort de Marat», celui qui était considéré « Ami du Peuple », mais tout de même partisan d’offrir à la guillotine 270.000 têtes. Le 11 juillet 1793 il est assassiné par Charlotte Corday, opposante, qui voyait en lui un tyran révolutionnaire sanguinaire. Sous prétexte de lui communiquer des informations sur un complot en préparation, elle est conduite dans la chambre de Marat qui soigne sa maladie de peau dans l’eau soufrée de son bain. Après quelques paroles échangées, Charlotte sort un couteau qu’elle plante dans le torse du citoyen, qui meurt derechef. Elle sera décapitée une semaine plus tard. Efficace le tribunal révolutionnaire!

Jacques-Louis David est chargé d’immortaliser le mort qui était son ami. Il peint un tableau remarquable par sa composition. On y voit Marat affalé dans sa baignoire, la tête penchée tel un christ à l’agonie, un léger sourire aux lèvres, dans la main gauche une lettre adressée à sa meurtrière, dans la droite une plume, le couteau ensanglanté au sol, une dédicace du peintre bien en évidence. A son habitude David, excellent publicitaire, magnifie la réalité. Il en fait une allégorie à la mort de la liberté. Tableau propagande, quatre copies à l’identique en seront faites. L’original se trouve exposé depuis 1893 à Bruxelles aux Musées Royaux d’Art et d’Histoire auxquels il avait été légué en 1886. Cette œuvre a inspiré plus d’un artiste, dont Edvard Munch et Pablo Picasso qui en ont peint d’originales interprétations. Et Fernand Léger qui lui rend hommage, en peignant Marat sous les traits d’une belle tenant en main un message du peintre à son illustre prédécesseur.

MARAT PAR MUNCH ET PICASSO

LEGER DAVID HOMMAGE

 

Le suicide.

Voilà un bien étrange sujet pour ce tableau peint vers 1880, peu de temps avant sa mort, par Edouard Manet. Et qui fait tache dans l’œuvre du peintre pré-impressionniste dont on connaît les nombreuses réalisations, faites de scènes bucoliques et joyeuses, de marines, de portraits, de femmes nues…  Ici, étrangement, on voit un homme élégamment vêtu, tombé sur son lit, la poitrine en sang, un révolver à la main. Au mur, la moitié d’un portrait de femme.

Suicide, 1881 (oil on canvas)

Le tableau est superbement peint, les touches sont précises, vives et brusques à la fois. Le traitement du corps en raccourci est superbe. La composition, partie blanche à gauche, partie rouge à droite, suicidé au milieu laisse à comprendre le passage de la vie (lumière) à la mort (sang). Le dessus du tableau représentant le bleu du ciel, le tapis foncé et chamarré la terre qui accueille les dépouilles et entre les deux le lit, lieu de vie comme de mort. On ne sait rien des motivations du peintre mais pourquoi ne pas imaginer la fin tragique d’un amant éconduit ? Lors d’une soirée mondaine, il vient de voir sa maîtresse au bras d’un autre. Désespéré il noie son chagrin dans l’absinthe et décide d’en finir. Cela se pourrait. Mais peut-être est-ce Manet lui-même qui se représente, sentant sa fin proche. Il meurt de la syphilis en 1883. Toute interprétation est bonne…

Voici pour ces deux premiers visages de la mort… il en reste 3 autres, (le dernier soupir de l’aimée, une première photo d’un défunt illustre, un crâne luxueux) que vous découvrirez dans notre prochain p.art.age…

 

LE SAVIEZ-VOUS ?

Le 5 mai 1821 à 17h49, Napoléon expire. Il n’avait que 51 ans. En exil à Sainte-Hélène, malade, il était sous la garde médicale du docteur François Autommarchi, Corse comme lui.

MASQUE NAPOLEONOn décide de faire son masque mortuaire. Zut, point de plâtre sur l’île. On casse quelques statuettes en terre cuite pour en faire une pâtée, ça ne marche pas. Burton, un médecin anglais présent avait connaissance d’un gisement de gypse sur une île voisine. On l’autorise à y aller. Le temps passe et quand la mixture est prête, le pauvre Empereur n’est plus très frais, 48 h après son trépas, son visage s’affaisse. Qu’à cela ne tienne, Burton moule. Une empreinte de la face, une autre du crâne. Envoyées à Paris dans les bagages d’Autommarchi, avec promesse de les lui rendre (promesse qui ne sera pas tenue), on y fabrique deux ou trois bustes mortuaires dont l’un est maintenant exposé au Musée de l’Armée à Paris, l’autre, dit original, au Château de Malmaison, une des résidences de l’Empereur. Des masques sont aussi réalisés à des fins de propagande. 

Et voilà qu’entre 1933 et 1937, René Magritte crée «L’avenir des statues» prenant pour base des éditions commerciales en plâtre de ce fameux masque impérial sur lesquel il peint son célèbre ciel bleu, parsemé de nuages blancs. Effaçant ainsi l’expression du visage. Cette métamorphose n’est pas innocente et on peut y reconnaître l’esprit subtil et iconoclaste de Magritte.

The Future of Statues 1937 by Ren? Magritte 1898-1967

Il se sert d’une représentation de Napoléon que ses adeptes jugent naturellement sublime mais qui en réalité n’est que la figure en plâtre d’un homme déchu, banni, exilé, prisonnier et mort qui plus est. Et il fait en sorte que ce visage ne soit plus reconnaissable, sans gloire, évanescent, la tête dans les nuages. En opposition complète avec les représentations classiques de Napoléon qui sont toutes à sa grandeur. Napoléon n’étant ici que le symbole du souverain adulé. Magritte dénonce d’une façon générale l’image que le peuple se fait des icônes. Et par là même ne nous fait-il pas comprendre que tout (et notre existence) est si fugitif ?

 

Brigitte & Jean Jacques Evrard
p.art.ages@proximus.be

 

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