Au Japon, à l’entrée des piscines, sources thermales, parcs aquatiques, salles de sport, il est clairement indiqué que tout tatouage est prohibé ou doit être entièrement dissimulé. On vous donnera même un sparadrap pour cacher une petite marque. Alors il était surprenant de voir aux J.O. de Tokyo tous ces athlètes aux corps largement décorés. Les temps changent et ce qui était interdit hier sera accepté demain… tout comme l’inverse.
Des momies égyptiennes vieilles de 5000 ans et d’autres un peu plus «jeunes» découvertes en Chine, attestent que le tatouage est une pratique millénaire dont l’utilité varie d’une civilisation à l’autre. Rite initiatique parfois, de statut, signes d’appartenance à une tribu, une corporation, une religion, façon de «marquer» le prisonnier, l’esclave, comme on le fait aussi pour les animaux. En Polynésie et principalement chez les Maoris de Nouvelle Zélande, le tatouage du visage est depuis des siècles l’indélébile façon d’affirmer son affiliation tribale. Au Japon, déjà à l’ère Edo (1600-1868), les samouraïs se faisaient tatouer pour revendiquer leur appartenance à un clan. D’autre part les autorités nipponnes tatouaient les criminels. Ceux qui avaient des marques sur le corps étaient donc des criminels (rebuts de la société)… ou des samouraïs (des héros), curieux contraste. La tradition a perduré, car de nos jours encore la pègre nippone (les Yakuzas) se font toujours tatouer, parfois le corps entier, sauf mains et visages pour se présenter aux yeux des profanes «propres et nets» en complet veston, mais devant leurs semblables, marqués de leurs symboliques attributs mafieux.
Si pendant des siècles les tatouages, modifications corporelles permanentes et indélébiles ont eu des significations symboliques, initiatiques, claniques, honorifiques ou infamantes, aujourd’hui, il en est tout autre.
Pour on ne sait quelles raisons, entre 1970 et 1990, un étonnant engouement pour le tatouage est réapparu, initié et poussé par les stars populaires du sport, de la musique, du spectacle. Phénomène narcissique largement amplifié par les réseaux sociaux friands d’images. Car en effet, que cachent ces dessins corporels que l’on veut absolument montrer. Les sociologues sont là pour l’expliquer… les artistes aussi, à leur façon, et c’est eux seuls qui nous intéressent ici.
Win Delvoye, à qui nous avions consacré un article en avril 2019 (à relire ici), n’a pas hésité à tatouer des cochons. Il est allé plus loin encore en proposant ses services à un être humain, le transformant derechef en œuvre d’art.
Tim Steiner est Suisse et vit à Londres. Il a non seulement accepté d’être tatoué par l’artiste et de s’exhiber 3 fois par an dans des galeries publiques et privées n’importe où dans le monde mais aussi d’être «vendu» comme œuvre d’art à un collectionneur d’art allemand, pour 150.000€. Wim, galerie, Tim, chacun se partageant la somme à parts égales. Steiner dit «Je ne suis pas un artiste. Je suis une œuvre d’art. À ma mort, ma peau sera découpée, encadrée et donnée à mon acheteur».
L’art en est arrivé à un point ou tout, ou presque, semble permis. D’autant plus dans notre civilisation mercantile qui fait de l’individu et du matériel le centre de tout.
Au Palais Pitti à Florence, on peut admirer La Venus Italique, sculptée dans le marbre par Antonio Canova vers 1804-1810. Inspirée de la célèbre Venus de Milo (Aphrodite) haute de ses 173 cm elle semble plus vraie que nature. En 2020, le sculpteur italien Fabio Viale décide de réaliser une réplique exacte de la Vénus Italique, dans un marbre blanc. Jusque là rien d’extraordinaire. Jusque-là seulement.
Car Fabio, comme Wim Delvoye, aime mettre en opposition, provoquer le regard, fracturer l’esprit. Son intention est de tatouer la sculpture. Pas de la décorer, non, la tatouer vraiment, comme on le fait pour la peau avec de l’encre incrustée, indélébile et permanente. Pour ce faire il prend conseil auprès de chimistes et tout comme les tatoueurs traditionnels, il injecte des encres dans le marbre qui, poreux, les absorbe. Le résultat est aussi vrai que nature, voilà la belle Vénus transformée en yakuza.
Fabio Viale a bien compris que nous ne pouvons rester insensibles à la vue d’icônes de l’art, qui ont survécu à tant de périls au cours des siècles pour arriver jusqu’à nous presque indemnes (bien que la Vénus de Milo ait perdu ses bras), tatouées de dessins symboliques.
Car, en effet, l’artiste utilise non pas les tatouages décoratifs à la mode aujourd’hui, mais bien ceux, empreints de signes et symboles, que portent les bandits criminels des mafias. Faisant ainsi un lien entre des œuvres antiques classiques mondialement appréciées et la vulgaire trivialité, entre le sacré et le profane, entre la vie et la mort, éternelle obsession.

Pour la reproduction grandeur nature de la Main de Constantine (elle mesure plus de 150cm) Fabio Viale a choisi le tatouage criminel russe, dont le code graphique qui narre la vie du malfrat de façon très complexe et impossible à expliquer. Et que seuls des initiés comprennent.
Et vous ?
Jusqu’au 19 septembre 2021, la ville du Havre présente les sculptures tatouées de Fabio Viale (et les œuvres de 8 autres artistes) lors de la 5ème édition «d’un été au Havre» dont le thème de cette année est l’illusion, le vrai-faux. A découvrir dans cette belle ville dont le centre est inscrit par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Un des hommes les plus tatoués de France est instituteur en classe maternelle. Aïe. Alors que la polémique fait rage dans l’hexagone au sujet des tenues «républicaines» imposées à l’école, aux étudiants et élèves. Embarrassé, le ministère de l’éducation a avoué qu’il n’existait «aucun texte législatif ou réglementaire encadrant spécifiquement la tenue des personnels enseignants ou leur apparence physique». Néanmoins Sylvain Helaine (surnommé Freaky Hoody) s’est vu retiré la charge de classes maternelles.
La raison est simple et on peut la comprendre, les nombreuses plaintes des parents des jeunes enfants. Les collaborateurs de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale du gouvernement d’Emmanuel Macron, expliquent : «il semble que ses tatouages ne constituent pas un manquement à l’obligation de neutralité politique et religieuse». Aïe Aïe. Au «pourquoi» émis par l’association «Les tatoueurs ont du cœur» qui vient en aide aux enfants défavorisés et hospitalisés, l’ Éducation nationale, parle d’une décision prise «en bonne intelligence». Comme rien ne peut, en théorie, empêcher un enseignant de montrer ses tatouages (si les dessins ne représentent aucun signe religieux, politique, ou contraire aux bonnes mœurs), même si le tatoué est au contact de jeunes enfants, la « bonne intelligence » a fait son œuvre et Sylvain Helaine peut enseigner aux élèves de primaire et non de maternelle, qui pourraient être effrayés. Notre société de plus en plus complexe offre bien des débats et l’encre n’a pas fini de couler.
très bon sujet en effet sur cet incompréhensible fait de société.
Je me demande parfois si les tatoués ont compris que c’était pour la vie …
J’aimeJ’aime
Encore une inspiration originale et autant instructive que surprenante !
Merci !!!
Michaël
J’aimeJ’aime
Magnifique mais je n’oserais pas
J’aimeJ’aime