Il y a quelques semaines, nous vous avions laissé sur votre faim en vous promettant les cinq visages de la mort, mais en ne vous en montrant que deux, Le Meurtre et Le Suicidé (que vous pourrez relire ici). Certains nous ont écrit qu’ils mouraient d’envie de connaître les trois autres: le dernier soupir de l’aimée, une première photo d’un défunt illustre, un crâne luxueux… Les voici.
Le dernier soupir. Camille Doncieux n’a que 32 ans quand un cancer l’emporte. Elle qui a été le modèle, puis la compagne et enfin l’épouse de Claude Monet, elle lui a offert deux enfants. Il rencontre Camille en 1866, un an plus tard naît Jean, leur premier fils. Monet vit dans la misère, il ne vend rien, il attente à ses jours au printemps 1868. Finalement il épouse Camille en 1870. Huit ans plus tard, voici leur second fils, Michel. Camille ne se remet pas de ce deuxième accouchement, elle souffre beaucoup. Les finances du couple sont au plus bas. Pour vivre et payer les docteurs, Monet doit brader ses toiles. Le 5 septembre 1879, après de longues souffrances, Camille s’éteint. Comme malgré lui, Monet prend les pinceaux pour traduire ses sensations visuelles et le bleu lumineux des draps et vêtements de son épouse sur son lit de mort. Plus tard Monet a regretté d’avoir agi en artiste et d’avoir utilisé la dépouille de sa chère et tendre comme sujet de peinture. L’œuvre qui n’a jamais quitté le peintre n’est pas signée mais sera authentifiée par leur fils Jean. Cette toile fait maintenant partie des collections du Musée d’Orsay.
La photographie funéraire. La dépouille d’un personnage célèbre, exposée, fascine toujours car on se trouve brusquement devant un artiste, un président, un sportif, un savant, voir un tyran,… sans que celui-ci ou celle-là ne puissent plus rien.
Le vivant gagne momentanément face à la mort. Le célèbre adulé, ou craint, redevient simple mortel, égal en quelque sorte. Quand Victor Hugo meurt à Paris le 22 mai 1885, au numéro 50 de l’avenue qui porte, déjà, depuis 4 ans son nom, il bénéficie d’une popularité immense, tant pour ses talents littéraires que pour ses actes politiques. De nombreuses personnalités et artistes accourent pour un dernier hommage dont Félix Nadar, qui fût caricaturiste puis photographe, et à qui on doit, entre autres, tant de portraits d’artistes dont celui de Victor Hugo, vivant. N’ayant pas voulu emporter tout son matériel dans la chambre du mort, Nadar photographie Hugo sans autre éclairage que la lumière naturelle. C’est en larmes que l’artiste-photographe réalise ce qui sera considéré par beaucoup comme son plus beau cliché. Pour la petite histoire, si en Belgique, les barrières mobiles qui canalisent les foules sont appelées Nadar, c’est suite au passage du photographe en 1864, quand il vint avec Le Géant, un ballon captif énorme qui, dans le jardin botanique de Bruxelles, permettait au public de prendre de la hauteur. Public si nombreux et enthousiaste qui fallut le maintenir à distance grâce aux éponymes barrières.
La mort coûte que coûte. L’Anglais Damien Hirst crée en 2007 «for the love of God». Il s’agit du crâne, acheté par Hirst, d’un homme d’une trentaine d’année ayant vécu au XVIIIème siècle. Hirst en fait faire une réplique par Jack du Rose qui est ensuite confiée aux bijoutiers Bentley & Skinner de Londres qui recouvrent le crâne d’une couche de platine dans laquelle 8601 diamants sont incrustés dont, sur le front, un diamant rose en forme de poire.

Au total 1.101, 18 carats ! La production de cette pièce a coûté 14 millions de livres à Hirst. Sauf si, et seulement si, on accepte que l’art aujourd’hui n’est que marketing, on ne peut considérer cette réalisation comme une œuvre d’art. Car ce montage n’a pour but que de provoquer la publicité, le show pour que toute la planète artistico-intello qui se gave d’excès, s’en réjouisse. Car ce faux crâne, avec ses vraies dents, son kilo de diamants, ces millions dépensés, n’est-il pas déjà une œuvre tueuse, celle qui fait croire que l’art c’est l’argent, la provocation, le cirque, le show-biz, le premier degré ? L’a-t-il vendu ce machin hors de prix. Mais oui bien sûr. Et à qui ? Mystère. Hirst a annoncé que le crâne avait été vendu 50 millions… à un consortium anonyme, payé en espèces, sans aucune trace écrite… et que lui-même faisait partie de ce consortium. A mort l’imposture !
Les représentations mortuaires, réelles ou symboliques, font encore et toujours partie des sujets artistiques intelligents et continueront à le faire tant qu’il y aura de la vie. A James Ensor on doit de bien sarcastiques squelettes. Avec Guernica son œuvre engagée, Picasso nous montre les ravages de la guerre. Munch quant à lui, peint un cri, hurlement à la mort. Salvador Dali, Van Gogh, Marc Chagall, Andy Warhol, Basquia, Keith Haring, aucun n’y a échappé… au sujet comme à la mort.
LES DEUX PRECEDENTS VISAGES DE LA MORT
LE SAVIEZ-VOUS ?
A Paris, au cimetière du Père Lachaise, division 89, on trouve la tombe d’Oscar Wilde. S’il est reconnu aujourd’hui comme un acteur majeur de la littérature européenne, c’est dans le dénuement le plus complet qu’il mourut à Paris en 1900. Il n’avait que 46 ans. Quelques 3 années plus tôt, il avait fui l’Angleterre après avoir été libéré de la prison de Reading, où il purgeait une peine de 2 ans, après une condamnation aux travaux forcés pour un baiser homosexuel, crime majeur et péché mortel à l’époque. D’abord inhumé au cimetière de Bagneux, sa dépouille est déplacée au cimetière du Père Lachaise en 1909, après que son dernier amant, Robert Ross, ait réuni suffisamment d’argent pour lui payer une concession.
L’américain Job Epstein, connu pour ses œuvres souvent controversées, est mandaté. Dans un bloc de 20 tonnes de pierre blanche, il sculpte un immense Sphinx ailé dont le visage ressemble étrangement à celui de l’écrivain et dont le sexe proéminent et conquérant fait référence à l’homosexualité de Wilde. Les nouvelles vont vite et celles concernant les attributs grandioses plus vite encore. C’est le scandale.

Un scandale qui dure et dure à tel point qu’en 1961 deux Anglaises choquées par la vue de ce membre viril auraient émasculé la sculpture on ne sait comment. Récupérés par le conservateur du musée, les attributs lui auraient ensuite servis de presse-papier, dit-on !
Mais on ne sait pas pourquoi, dans les années 90, le tombeau est devenu l’objet d’un rituel particulier. Des admirateurs, mais surtout des admiratrices (!) du poète ont pris l’habitude de déposer un baiser au rouge à lèvres sur le sulfureux Sphinx. Sans doute en hommage à Wilde condamné et emprisonné pour un baiser.
Halte-là, gens de peu de respect, vous endommagez une œuvre d’art, avec vos lèvres rouges et grasses sur ce blanc calcaire du Derbyshire, se sont dit les autorités. Qui ont fait lever, tout autour de la sépulture, et sur deux mètres de haut, des vitres incassables.
En cherchant bien, on découvre dans cette même division 89, quelques célébrités, Jean Nohain, Georges Courteline et un certain Henri Karcher… qui aurait été bien utile pour effacer ces rougeoyantes marques d’affection.
A toutes fins utiles, une concession perpétuelle de 2 m2 coûte 15 837,13 €… mais n’est plus réservée qu’aux seuls Parisiens.
Brigitte & Jean Jacques Evrard
p.art.ages@proximus.be
Voilà qui est … réjouissant, et magnifie la vie ! Viva la vita, chi è bella !
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une fois de plus vous nus offrez une véritable leçon: votre don de partage du savoir se reflète sur des sujets tellement divers qu’on ne peut que vous en redemander. Monet et sa femme, Hugo et Nadar sont des sujets de vie, de résilience qui font oublier, grâce à votre culture, ces visages de la mort. Merci à vous deux.
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