Portraits féminins mythiques – #2

Après l’ultra-célèbre Joconde dans le p.art.age précédent (ICI), voici la non moins merveilleuse Jeune Fille à la Perle. Peinte par Johannes Vermeer vers 1665, soit 150 ans après son incontestable concurrente italienne. Cette jeune Hollandaise est d’ailleurs souvent aussi appelée la Joconde du Nord. Appelons-là «Kleine Maria», Petite Maria, du nom de la fille ainée du peintre et peut-être aussi son modèle, lui qui peignait tant les intérieurs de sa demeure que les membres de sa famille, par raison économique pour pouvoir consacrer le peu qu’il avait à l’achat de pigments très onéreux.

Alors que la Joconde se montre presque de face, en buste, statique, dans de luxueux habits, sans bijoux ni artifices, sereine, posée, les mains croisées, le regard droit, au lèvres le sourire mystérieux qu’on lui connaît et qui fait sa réputation, Kleine Maria se présente de profil, la tête tournée vers le spectateur, comme surprise. Sur le vif. Maria est très jeune, peut-être 15 ans, peau blanche diaphane, yeux grands ouverts, gris et entourés d’un blanc lumineux, sans cils ni sourcils, lèvres d’un rouge carmin, tendrement humides, bouche légèrement ouverte qui laisse voir des dents saines. Juvénile. Innocente adolescente.

Cette jeunesse que nous voudrions tant éternelle, Vermeer nous l’offre. En quelques coups de pinceau. Car ce tableau du génie n’est pas traité comme il le fait d’habitude. Ses autres œuvres, majoritairement des scènes intimistes, sont remplies de détails. Il y peint des intérieurs faits de meubles, de sols carrelés, de murs décorés. Il montre des objets, des instruments de musique ou scientifiques, des tapisseries, des cartes et des tableaux accrochés, des fenêtres aux vitraux chatoyants et bien sûr des personnages en pied, richement vêtus, dans des attitudes d’action. Sa peinture est détaillée, les matières incroyablement rendues, photographiquement, en très léger flou, insaisissable et tellement présente.

LES DEUX PORTRAITSSeules deux de ses toiles sont construites et peintes différemment. Deux portraits de jeunes filles assez semblables dans leur construction et dans la technique. Notre «kleine Maria» et sa « sœur en peinture », appelé simplement «portrait d’une jeune fille». Toutes deux prennent la même pose, portent une perle à l’oreille, sont coiffées d’un foulard et sont présentées sur fond noir. A un centimètre près les deux toiles sont de format identique (44,5 x 39/40) et ont été peintes à la même époque (circa 1665). Aujourd’hui Maria est mondialement connue, étudiée sous toutes les coutures, sa sœur pas. Pourquoi ?

TURBAN GROS PLANIl y a chez Maria une beauté indéniable, une perfection du visage et un côté charmant, juvénile, virginal, sensuel. Ses lèvres pulpeuses et sa bouche entre-ouverte, où brille un peu de salive, y sont pour beaucoup. Sur son visage, une expression de surprise, interrogative, elle semble prête à s’enfuir (ou à inviter), désirable, alors que sa sœur est statique, en attente, disponible. Maria est colorée, composition rythmée faite des 3 couleurs primaires, le jaune, le bleu, le rouge, sur fond noir. Ne serait-elle pas l’avant-garde de Mondrian ? Alors que sa sœur est traitée en gris, brun et noir, couleurs bien moins attractives, plus en rapport avec le temps passé. Et puis il y a cette lumière qui met en valeur son turban, rendant la jeune fille très exotique. Et finalement la pureté du blanc, de ses yeux, de son col, du reflet sur son pendant d’oreille qui fait de Maria un bijou naturel.

NEZ GROS PLANPour revenir sur la technique employée par Vermeer pour ces deux portraits, on peut constater qu’ils ont été peints beaucoup plus rapidement que ses autres tableaux, détaillés minutieusement à souhait. Surtout le portrait de Maria qui est peint par touches larges, presque des aplats de couleurs, comme on le remarque sur le turban fait de bleus vigoureusement posés, on y voit clairement les coups de pinceau. Le visage est traité aussi en aplats de couleur carnation, à tel point que le nez se confond avec la joue et que l’arrête du nez devient une illusion d’optique.

PERLE GROS PLANIllusion aussi pour la fameuse perle (qui n’en serait pas une mais une bille de verre recouverte d’étain) et qui, à y regarder de très près, est presque transparente, sans attache à l’oreille, elle aussi sorte de leurre pour le regard.

Aussi bien dans le choix de son sujet que dans la façon de le réaliser, Johannes Vermeer nous emmène dans l’intemporel et l’inaccessible. Tout y est rassemblé, avec frugalité de moyens pour que cette image éveille en chacun de nous une émotion intense, si pas une nostalgie infinie du temps passé, de la jeunesse perdue. Allez savoir !

 

LE SAVIEZ-VOUS ?

Durant toute sa vie, Johannes Vermeer n’a point quitté sa bonne ville de Delft. On a trace d’un seul aller-retour à Amsterdam soit 120 kilomètres environ… Une empreinte carbone comme les aime Greta.

Mais ce n’est pas le cas de ses œuvres. Depuis qu’en 1866 le journaliste français Théophile Thoré-Bürger a sorti Vermeer des oubliettes de l’histoire de l’art, plus de 250 expositions lui ont été consacrées tout autour du monde. Et ses tableaux ont ainsi parcouru plus d’un million de kilomètres. Plus qu’un aller-retour Terre-Lune.

FEMME A LA ROBE BLEUECe n’est pas le cas non plus des substances qu’il utilisait pour ses couleurs, dont son fameux bleu outremer, celui du turban, celui de la robe de la «Femme en bleu lisant une lettre», et bien d’autres vêtements. Composé d’huile de noix à laquelle il incorporait du lapis-lazuli qu’il broyait finement, pierre qui venait d’Afghanistan et qui se vendait plus cher que l’or pur. Le rouge est extrait de cochenilles présentes sur certains cactus d’Amérique Latine.

Comme tous les grands artistes, Vermeer était très au fait des progrès techniques et scientifiques. Il a ainsi peint le Géographe et l’Astronome, deux tableaux qui mettent en scène des savants et leurs outils. Ces deux toiles ont été peintes dans une même pièce les meubles restés en place et la même année, pour preuve les dates qui y sont inscrites. Sur le Géographe un globe terrestre, sur l’Astronome un globe céleste, instruments qui étaient à cette époque vendus en paire, à prix très élevé. Un seul et même personnage a posé pour le peintre, vêtu des mêmes habits. Il s’agit des deux seuls tableaux du maître de Delft ayant un homme comme sujet unique.

GEOGRAPHE ET ASTRONOME

Pour esquisser ses tableaux, une fois la mise en scène élaborée, avec personnage(s), vêtements, meubles, objets, tapisseries, dans une des pièces de sa demeure, Vermeer utilisait une camera obscura «chambre noire» très ancien instrument d’optique, qui lui permettait de tracer sur sa toile l’image exacte de la scène, telle qu’elle est vue par l’œil humain. Mais en image inversée horizontalement et verticalement.

On trouve des traces de la Jeune Fille à la Perle, notre Kleine Maria, jusqu’en 1695. Le tableau tombe ensuite dans l’oubli et ne refait surface à La Haye qu’en 1881, lors d’une vente. Victor de Stuers, homme politique et avocat, a du flair, il pense qu’il s’agit d’un Vermeer et sous son conseil, un collectionneur d’art, le sieur des Tombes, achète pour seulement deux florins et trente cents ce tableau annoncé sale et non signé.

VERMEER SIGNATUREBingo, après nettoyage, apparaît la célèbre signature au grand M. Andries des Tombes prête le tableau à la Mauritshuis et à sa mort en décembre 1902, le lègue au musée où il réside depuis lors.

En 1994 il est enfin décidé de restaurer la célèbre toile, non pas dans un laboratoire de la Mauritshuis mais bien sous les yeux des visiteurs. Les couches de vieux vernis, jaunies par le temps sont délicatement enlevées et remplacées. Kleine Maria retrouve ses couleurs, son éclat, l’humidité de ses lèvres, sa jeunesse,… la vie quoi !

AVANT ET APRES RESTAURATION
La Jeune Fille à la Perle, avant et après restauration.

Kleine Marie est actuellement exposée au Rijksmuseum d’Amsterdam, entourée de 22 des 34 tableaux connus de Vermeer qui sont présentés ensemble pour la toute première fois. Jamais autant de ses œuvres n’ont été vues en un même lieu. Il s’agit donc d’un événement majeur, qu’il ne fallait manquer sous aucun prétexte. Occasion merveilleuse d’admirer, sans doute une fois dans une vie, de près, en vrai, les flous magiques, les touches si sensibles, lumineuses, irréelles même, du Sphinx de Delft. Mais c’est trop tard, toutes les entrées sont vendues. 

Heureusement, le site du Rijksmuseum, remarquablement bien fait, permet une visite virtuelle de l’exposition. Une perle.  ICI

 

 
Brigitte & Jean Jacques Evrard
p.art.ages@proximus.be
 

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