En 1960, il se disait républicain modéré, il était veuf et avait 66 ans. Le mardi 8 novembre il est allé voter à Stockbridge dans le Massachusetts. Sur son bulletin, il a coché le nom d’un très jeune sénateur. Jamais il n’avait dit à ses proches et sa famille qu’il préférait Kennedy à Nixon. Premier pas de droite à gauche.
Et pourtant, quelques temps auparavant il avait peint le portrait de ces deux candidats pour illustrer la couverture du Post, comme on appelait simplement le populaire et très vendu «Saturday Evening Post». Couverture du magazine qu’il illustrait chaque semaine depuis 1916. Il s’appelait Norman Rockwell, et était sans aucun doute le plus talentueux des illustrateurs américains.
Depuis le début de sa longue carrière, Rockwell représentait tout ce que les USA avaient de conformiste, de propre, de vertueux, d’idyllique, de bien-pensant, de blanc.
Car en effet, durant 4 décennies au service du Post, Rockwell en bon patriote, illustra en plus de 300 couvertures, une Amérique plus blanche que réelle. Pas question pour le magazine de montrer les «colored», ou alors le moins possible et pas autrement que dans des positions subalternes, ceux-là devaient rester loin des yeux des lecteurs, surtout ne pas troubler, surtout rester positif, surtout rester entre soi, blanc sur blanc.
Norman Rockwell avait le génie pour représenter les rituels sociaux et domestiques, de façon à rendre idéale la vie américaine, à la limite de la caricature mais avec un sens magistral de la mise en scène et un talent exceptionnel pour reproduire expressions, mimiques et grimaces. Ses tableaux montraient des gamins jouant au baseball, des pom-pom girls, des ménagères aux fourneaux, des familles à l’église, des soldats en permission, des policiers bienveillants, des ouvriers au travail, les white collar, blue collar, red neck, bien blancs… bref, toutes ses scènes, instantanés de vie, pleines d’émotion et d’humour. Petit paradis yankee, on ne peut plus «wasp».
Né le 3 février 1894, Rockwell a été un homme affable, placide même, avouant qu’à part être devant son chevalet, rien d’autre ne l’intéressait vraiment. Travailleur acharné, le dessin était tout pour lui et il excellait pour rendre la réalité paradisiaque, en alchimiste de l’image. Heureux homme, jusqu’à la soixantaine, il ne voyait que le bien autour de lui, ignorant – ou voulant ignorer – ce que son Amérique avait de détestable, dont la ségrégation. Pour reprendre la parole de Reagan qui parlait, en bon politicien hypocrite ou naïf optimiste, d’une époque passée «où nous ne savions même pas que nous avions un problème racial». Cachez ce problème que je ne saurais voir !
En 1941, le président F.D. Roosevelt adresse au Congrès son célèbre discours où il évoque une après-guerre basée sur 4 libertés. Liberté de parole, liberté de culte, liberté de vivre à l’abri du besoin, liberté de vivre sans peur. Inspiré par ces arguments, Rockwell veut illustrer ces quatre libertés afin de leur donner un impact visuel, propice à une meilleure compréhension. Il propose ses affiches à l’armée qui les refuse. L’artiste se tourne alors vers le Post qui accepte et, en 1943, publie ces quatre dessins en couverture du magazine.
Le succès dépasse toute attente à tel point que le gouvernement revient sur sa décision et propose au Post un partenariat pour l’organisation d’expositions dans tout le pays, avec pour but de promouvoir la vente d’obligations et timbres de guerre ! Pour chaque obligation achetée, un tirage des quatre tableaux était offert. En plus, quatre millions de chacune des affiches sont imprimées et diffusées. Succès phénoménal qui fait, aux yeux des Américains, d’un simple illustrateur un artiste majeur.
C’est en 1943 que Rockwell peint Rosie la Riveteuse, aujourd’hui encore la plus célèbre icône du féminisme, que nous avons déjà évoquée dans un précédent article ICI.
Il va ensuite se tourner un peu plus vers la gauche…
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Musée Norman Rockwell : https://www.nrm.org/
A la découverte des talents de Rockwell:
LE SAVIEZ-VOUS ?

La Belgique a aussi eu son « Rockwell » en la personne de Marcel Marlier. Début des années 50, les effets du baby-boom d’après-guerre commencent à se faire sentir et les Editions Casterman y voient une belle opportunité de profit. Ils demandent à Marcel Marlier, leur plus jeune mais si talentueux illustrateur, il n’a que 23 ans, de créer, avec le scénariste Gilbert Delahaye, une héroïne pour les petites filles de 5 à 8 ans. Martine est née.
Et, en une soixantaine d’albums, Martine enchantera les fillettes de 1954 à 2014 en vivant des aventures simples de la vie quotidienne. Martine à la ferme, le tout premier album, sera d’emblée un grand succès. Ensuite Martine ira en voyage, à la mer, au cirque, au zoo, à l’école, en bateau, elle fera de la cuisine, de l’équitation, du théâtre, elle vivra des événements de la vie, hospitalisation, déménagement, naissance d’un petit frère, etc, etc… pour se terminer, en 2010 par Martine et le prince mystérieux, dernier album de la main de Marlier… Une grande épopée, une bien sage époque !
A ce jour, plus de cent millions d’exemplaires de « Martine » ont été vendus, dont trente-cinq millions en langues étrangères. Bingo pour Casterman, aussi éditeur de Tintin !
Avec Martine, Marcel Marlier montre, bien en avance sur son temps, une petite fille moderne, émancipée, libre, bien dans sa peau, satisfaisant ses envies de voyage, de découvertes.

Comme Rockwell, Marlier avait un talent exceptionnel pour illustrer, en les idéalisant, les scènes de la vie des années optimistes d’après-guerre. Comme Rockwell, Marlier restera longtemps fidèle à son éditeur. Comme Rockwell, Marlier n’aura comme passion que l’illustration, le goût du dessin parfait, l’envie de représenter la vie telle qu’il la voyait, belle, insouciante, traditionnelle, idéale, optimiste. Comme Rockwell, Marlier sera un jour reconnu comme artiste majeur de son époque et on s’arrachera ses dessins.
A la découverte des talents de Marlier:
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