Gribouillages

Il y a gribouillages, gribouillages et gribouillages. Ceux que nous faisons pour patienter au téléphone, pour calmer nos nerfs, pour esquisser ce que sera notre prochaine cuisine, ou ceux du pictionnary… bref de vrais gribouillages.

Il y a ceux des enfants, merveilleux de spontanéité, d’inventivité, de liberté, instinctifs, ces enfants dont Picasso âgé disait : «Quand j’avais leur âge, je dessinais comme Raphaël, mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme eux.»

Et il y a ceux des artistes, ces «scarabocchio» en Italien, (mot devenu « caraboutcha » en Belgique, région wallonne) qui étaient récemment exposés à la villa Médicis à Rome. Près de 150 dessins expérimentaux, transgressifs, régressifs ou libératoires, comme les définit Francesca Alberti, commissaire de l’exposition. Ils sont de Vinci, Picasso, Michel-Ange, Dubuffet, Basquiat, Titien, Bernin, et bien d’autres dont Henri Michaux. Et, 150 autres gribouillages qui seront exposés bientôt à Paris, second volet de cette exposition, du 19 octobre de cette année au 15 janvier 2023 aux Beaux-Arts.

GRIBOUILLAGES INTRO 8
Agostino Carrache, série de têtes caricaturales (détail)

Ces dessins spontanés de ceux – très rares – qui ont le don, et pour qui l’œil, le cerveau et la main ne font qu’un, sont souvent de petite taille et monochromes. Détails d’un pied, d’une expression, d’une posture ou simplement esquisses d’un futur tableau, sur une page d’un carnet, au dos d’un carton, parfois sur une nappe en papier de restaurant. Les musées les conservent à l’abri de la lumière, donc des regards, ou parfois les exposent dans salles faiblement éclairées, loin de la foule venue admirer les pièces maîtresses.

Alors que ces dessins sont la synthèse de l’artiste, la quintessence de l’art pictural, la genèse des tableaux, l’embryon de l’œuvre. Ils résument à eux seuls, en eux seuls, toute la force créative des maîtres. A notre époque d’écrans et d’images toujours plus grandes, il faudrait pouvoir admirer ces esquisses dix fois magnifiées pour vraiment en apprécier la qualité, la maîtrise du geste, le sens de la lumière, l’exactitude des anatomies, la puissance de la composition.

Hergé, père de Tintin, est connu mondialement comme maître de la ligne claire. Ce trait parfait, qui résume à leur plus simple expression, l’action, le mouvement, les personnages, les décors, sans ombres, sans dégradés. Traits noirs, aplats de couleurs. Ainsi est perçu, connu, apprécié dans le monde entier, le travail d’Hergé. Tout le contraire des gribouillages. Et pourtant !

GRIBOUILLAGES INTRO 3Il faut, en effet, s’intéresser à la création de ces planches. A la toute première étape quand Hergé pose sur papier ses idées en gestation en une expression maximale dans la plus grande économie de temps et d’effort. Tout comme Mozart posait ses doigts sur le clavier en recherche créative.

DU GRIBOUILLAGE A LA LIGNE CLAIRE
Du gribouillage à la ligne claire.

De Wolfgang au clavecin il ne reste bien sûr rien de vivant, pas plus des grands maîtres du dessins, Dürer, Holbein, Ingres, Cranach, Vinci,… mais heureusement, pour comprendre le mystère du gribouillage, un petit film de 2 minutes et 21 secondes – à regarder absolument – nous montre Hergé au travail, plutôt au cœur de la création, là quand tout germe, là quand c’est l’instinct créatif qui guide la main, là quand l’artiste lui-même ne sait pas encore où il va, là quand la feuille blanche et le crayon se métamorphosent en œuvre d’art.

HERGE AU TRAVAIL
Hergé nous montre que le crayon doit avoir sur le papier la même délicatesse que la mouche qui erre sur une vitre. Cliquez sur l’image.

Pierre Sterckx grand connaisseur et ami personnel de Hergé nous affirme et nous montre, en 1994, que Hergé est l’un des plus grands dessinateurs, au niveau des grands maîtres anciens, c’est peut-être un peu exagéré. Les amis sont comme cela. 

Sterckx se réfère à Ingres qui disait, selon Paul Valéry qui le tenait de Degas, «Le crayon doit avoir sur le papier la même délicatesse que la mouche qui erre sur une vitre». Ingres disait aussi «Le dessin comprend les trois quarts et demi de ce qui constitue la peinture».

George Remy avait le don et la passion qui le poussaient à travailler sans cesse, jusqu’à l’épuisement même. Ce feu intérieur, on le voit dans ses dessins préparatoires. Il avait le talent pour, en quelques traits, illustrer le mouvement, l’action, la dynamique. Et à partir de ses esquisses, de simplification en simplification, parfois aidé de collaborateurs spécialisés en décors, véhicules, vêtements, passer d’un « brouillon de culture » à l’intention synthétisée, l’œuvre finale.  

C’est un fait, de la grotte Chauvet au studio d’Hergé, en passant par les ateliers des Grand Maîtres, le gribouillis est l’essence de l’œuvre et doit être regardé avec attention, admiration et respect.

Quelques Maîtres du dessin…

Ce diaporama nécessite JavaScript.

LE SAVIEZ-VOUS ?

ILLUSTRE HERGEDans le numéro de décembre 1965 de la revue suisse, L’Illustré, un dossier de 6 pages était consacré à Hergé. En prime pour les lecteurs, une planche inédite, d’un futur album en préparation, sans texte. En jeu, il était demandé aux lecteurs d’inventer les dialogues.

Seulement voilà, Hergé n’avait jamais dessiné cette planche. C’était une farce faite au journaliste suisse, imaginée par deux dessinateurs du studio Hergé, Bob de Moor et Jacques Martin.

Deux versions de cette farce existent.

Celle de Jacques Martin : Eté 1965, Hergé est en vacances, un journaliste suisse débarque au studio, croyant trouver un album en préparation. De Moor et Martin ont l’idée de dessiner vite fait la première page, sans texte, d’un soit disant futur album. Le journaliste très heureux du scoop, en fait moultes photos et la publie dans une soi-disant interview d’Hergé, en fait inventée au départ de textes déjà parus et de propos recueillis lors de sa visite des studios. Pas très déontolo-journalistique tout cela !

FAUX HERGE
La fausse planche par Bob de Moor et Jacques Martin.

Quelques semaines plus tard, voilà Hergé de retour, et trouve un exemplaire de l’Illustré sur son bureau… ses premiers mots, entendus de beaucoup : Nom de Dieu ! puis silence.

Plus tard il demanda à Jacques Martin de lui donner ou de lui vendre cette planche. Martin la lui offre à condition qu’elle ne soit pas détruite. Mais tout en serait resté là.

Celle de Philippe Godin, expert et critique littéraire belge, spécialiste de la vie et de l’œuvre d’Hergé : Hergé est en vacances pour six semaines, Casterman a besoin d’une nouvelle couverture pour l’Ile Noire. Son secrétaire, Baudoin van den Brande, propose de faire réaliser quelques projets par l’équipe du studio. Ils sont envoyés à Hergé qui en choisit un. De là germe l’idée que le créateur de Tintin n’est pas irremplaçable. Et de là, la fausse planche.

Derrière tout cela, quelques zones d’ombres, à découvrir ICI.

En fin de compte, cette planche, a été vendue aux enchères en 2011… pour 25.000€

Pas mal pour un faux ! Mais bien loin des millions que valent les vrais dessins d’Hergé.

Brigitte & Jean Jacques Evrard
p.art.ages@proximus.be

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Site Web créé avec WordPress.com.

Retour en haut ↑

%d blogueurs aiment cette page :