De douilles et de brosses

Le hasard fait bien les choses puisqu’il nous offre, en même temps, deux expositions remarquables à voir absolument. L’une à l’Africa Museum, l’autre à Bozar.

freddy tsimbaFreddy Bienvenu Tsimba est né en 1967 à Kinshasa (RDC). Il sculpte l’humain avec de la ferraille. Douilles de balles ou d’obus ramassées sur les champs de bataille, chaines, machettes, cuillers, fourchettes, pièces à souris, etc… trouvées en décharges. Etranges matériaux. Sublime vision. Tsimba, descendant de la lignée des « Grand forgerons » selon la tradition, vivant témoin de la mort et de la destruction dans son trop bien pauvre Congo, met son talent au service de la paix et rend hommage aux plus fragiles, enfants, filles, femmes, mères que la folie et la méchanceté sans limite des hommes accablent cruellement, sans retenue.

Ces œuvres nous montrent des bustes et des corps, souvent des femmes enceintes, en exprimant les horreurs de la guerre, mais en ode à la paix. Tsimba magnifie la vie, contre la haine. Il parvient à nous faire comprendre, et voir, combien l’humanité peut être à la fois la pire et la meilleure. La pire par la haine et la guerre, la meilleure par l’amour d’une mère pour son enfant. Tsimba transcende ainsi la souffrance et montre que la vie reste finalement la plus forte. Par là son message devient universel, ce qui fait de lui un témoin d’aujourd’hui et de demain.

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Dans ses sculptures, composées d’objets improbables mais symboliques, assemblés au feu et au marteau, on retrouve cette culture ancestrale de l’Afrique, qui a produit des pièces remarquables et intemporelles, celle des artistes, sorciers et inyangas anonymes dont les œuvres sont exposées dans les plus grands musées et qui ont tant influencé les Picasso, Klee, Braque, Brancusi, Giacometti pour les plus connus.

Une visite à l’Africa Museum s’impose car il faut s’arrêter devant les sculptures de Tsimba, pour réfléchir à son message et comprendre sa vision du monde. Si ses œuvres semblent, au premier regard, sombres et angoissantes, elles sont en réalité une ode à la vie, par l’opposition frontale des pièces en métal chargées de mort, et les sujets empreints d’humanisme. Cette opposition ne laisse pas insensible car, et c’est sa force, elle engage à la réflexion. A voir… et en même temps s’offrir la découverte de ce superbe musée.

TSIMBA BANNER

 

A Bozar, un tout autre artiste, tout aussi particulier, totalement différent mais finalement pareil, car lui aussi universel.

roger raveelRoger Raveel est né en 1921 à Machelen (Belgique). Toute sa vie, ou presque, il est resté chez lui, il a peint son chez soi, le jardin, la campagne, le silence, son visage, des gens seuls, sans visage, un vélo, un poteau en béton, le calme, le dépouillé, le simple travail du paysan, la durée du temps arrêté, l’intemporel.

Une œuvre inclassable, originale, sans réelles influences, tellement personnelle. Homme de la terre, modeste et travailleur, avec près de 60 années les brosses et pinceaux comme seuls outils, Raveel balance entre le figuratif et l’abstrait. Une certaine naïveté se dégage de ses tableaux et son trait est parfois enfantin. Mais il ne faut pas se tromper, ses œuvres sont d’une très grande maturité car elles nous délivrent un message puissant : braves gens, allez à l’essentiel. N’est-il pas étonnant que ce message, induit dans les tableaux de cet homme effacé, trouve sa véracité dans cette époque de confinement que la Covid impose ? La frugalité d’antan ne serait-elle pas préférable à la surabondance d’aujourd’hui ? 

RAVEEL PARTAGES

Raveel ne s’est pas laissé influencer par ses contemporains, son style est unique et sans hésitation reconnaissable, identifiable. Si on aime comparer, on peut toutefois y voir David Hockney par les cadrages et les couleurs vives, Piet Mondrian par les formes géométriques et les lignes, Robert Rauschenberg par l’ajout d’objets tridimensionnels et même Vermeer pourquoi pas, par le choix de ses sujets et l’ambiance de calme et de simplicité qui règne dans ses tableaux. Mais on y voit toujours du Raveel.

L’exposition est superbement présentée, les créations de Raveel étant intemporelles et ses sujets récurrents durant toute sa très longue carrière, les organisateurs ont privilégié un découpage en 10 thèmes. Allez-y donc à la découverte et laissez-vous enchanter.

RAVEEL BANNER

 

LE SAVIEZ-VOUS ?

Durant la première guerre mondiale, plus de 60 millions d’obus ont été tirés. Ça en fait des douilles. De quoi éveiller l’intérêt de ces pauvres poilus, enlevés à leur vie civile pour venir satisfaire les états-majors et leurs généraux friands de gloire achetée 1000 hommes le mètre gagné, ou perdu. Gigantesque abattoir humain à ciel ouvert.

POILU AU TRAVAILCertains étaient orfèvres, dinandiers, graveurs, horlogers,… artistes. Contraints à l’inaction pendant des jours et des nuits, obligés à croupir dans des tranchées humides et malodorantes, il leur fallait tuer l’ennui, n’étaient-ils pas là pour tuer ? Il leur fallait aussi occuper leurs mains et leur tête à des tâches de la vie normale, celle d’avant, pour se préserver de la folie et pour garder en eux un peu d’humanité.  ART DES TRANCHEESDe ce qu’ils avaient sous la main en quantité infinie, douilles de balles, douilles et têtes d’obus, shrapnels, il en est sorti ce qui fût appelé plus tard, l’Art des Tranchées, fait d’objets de la vie courante (tabatières, briquets, pommeaux de cannes, bracelets, boîtes à bijoux,…) mais surtout de vases sortis de douilles d’obus par ces mains habiles d’hommes qui côtoyaient la mort. Ceux qui sont partis la fleur au fusil, sont-ils revenus chez eux un bouquet dans une main, un vase dans l’autre ?

Pour les plus anciens d’entre vous qui lisez ces lignes, avez-vous vu chez vos grands-parents, ces douilles métamorphosées ? Elles venaient de l’enfer mais brillaient sur la cheminée, respectueusement polies tous les mois. Etonnante destinée. Dans son village, Raveel a vu cela. Et Freddy Tsimba connait-il ça ?

 

Brigitte & Jean Jacques Evrard
p.art.ages@proximus.be

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