Nous allons vous parler de 3 artistes majeurs du XXème siècle. Piet Mondrian est né à Amersfoort au Pays-Bas en 1872. Fernand Léger à Argentan en France en 1881, Roy Lichtenstein à New York, USA en 1923.
Ils n’ont donc pas vraiment eu l’occasion de travailler ensemble. Et quand bien même l’auraient-ils fait ? On peut toutefois se pencher sur leurs productions respectives et s’étonner, s’émerveiller même, d’une certaine ressemblance. N’est-il pas en effet étrange cette utilisation presque systématique des couleurs primaires, du noir et du blanc ? Non seulement ces trois artistes ont la même palette chromatique mais en plus ils organisent leurs compositions de la même façon, en utilisant le noir en traits épais pour faire rythmer les couleurs, et se servent du blanc pour donner de la fraîcheur et de la modernité à leurs œuvres.
A eux trois, ils ne constituent pas une école, et aucun d’entre eux ne se revendique des deux autres. Sans risque, on peut certainement affirmer ici que Mondrian et Léger ne se connaissaient pas personnellement, on ne trouve d’ailleurs aucune trace de possibles rencontres. Mais picturalement, on ne peut imaginer qu’ils s’ignoraient, s’appréciaient, se respectaient et s’influençaient. Lichtenstein, lui, connaissait très bien les œuvres de ses ainés et n’a jamais caché son admiration pour Léger, pour preuve un de ses tableaux, Stepping Out, en hommage à Léger et Picasso. Chose remarquable toutefois, c’est la ville de New York qui réunit le Français, le Hollandais et l’Américain. Et le jazz était leur passion commune. Ceci expliquerait-il cela ?
Le plus ancien, Piet Mondrian, de son vrai nom Pieter Cornelis Mondriaan, né en Hollande, de confession calviniste, est un des pionniers de l’abstraction, d’abord influencé par le cubisme de Braque et Picasso. Homme sérieux, austère même, il évolue vers une abstraction totale, ne se servant, dès 1930, que de lignes droites et de couleurs primaires. En effet, il écrivait «le rapport de la verticale à l’horizontale est à l’image de la dualité et des oppositions qui régissent d’une façon générale la vie et l’univers — le masculin et le féminin, l’extérieur et l’intérieur, le matériel et le spirituel». Mondrian nous montre donc le monde et la vie dans sa réalité la plus épurée. La plus symbolique aussi.
En 1940, il fuit la guerre et s’installe à New York, ville qui correspond le mieux à ses œuvres et sa passion pour le jazz. Il y décède le 1er février 1944.
Ecoutez ici ce que disait de lui le grand critique d’art, Pierre Sterckx.
Fernand Léger est Normand, costaud, de condition modeste, de culture chrétienne. Il découvre les formes de Braque et Picasso en 1907, les couleurs de Delaunay un an plus tard. D’année en année son travail se «cubi-tubise» de plus en plus. Il peint les ouvriers au travail, les cyclistes, les baigneurs, le cirque, la force musculaire donc. Un premier voyage à New York en 1931, un second à Chicago en 35 où des expositions lui sont consacrées, un troisième en 38 pour y réaliser des peintures murales pour l’appartement de Nelson Rockefeller le rendent aussi célèbre aux USA qu’en France. Il fréquente les musiciens de jazz, dont il écrit : «J’ai souvent pensé en les écoutant à des équivalences colorées possibles».
En 1940, la même année que Mondrian, et pour la même raison, fuir le nazisme, il s’embarque (définitivement) pour les Etats-Unis et y restera jusqu’en 1945. Il traverse le pays donne des conférences et peint beaucoup. La guerre finie, il revient en France et ramène 57 toiles et plus de 100 créations sur papier qui seront exposées au printemps 1946 à la galerie Louis Carré, sous le titre « Fernand Léger, oeuvres d’Amérique 1940-1945 ».
A Paris, il peint Adieu New York et adhère au Parti communiste français. Une vraie rupture. Avec l’arrivée du maccarthysme, c’est vraiment adieu New York, son engagement politique lui interdit l’obtention d’un visa. Homme bon et bienveillant, il donne des cours de peinture, un de ses élève s’appelait Serge Gainsbourg. Léger s’éteint le 17 août 1955.
Roy Lichtenstein est New Yorkais pur jus, enfant d’une famille juive de classe moyenne supérieure. Jusqu’à son adolescence, il dessine pour le plaisir. Mais sa grande passion, c’est le jazz qu’il va écouter à l’Apollo Theater de Harlem où il fait le portrait des musiciens tout en les écoutant. En septembre 1940, alors que Piet et Fernand débarquent, Roy quitte New York pour s’inscrire à l’université d’État de l’Ohio (OSU), qui propose des cours en atelier et un diplôme de beaux-arts. Il doit interrompre ses études pendant trois ans pour servir dans l’armée pendant et après la Seconde Guerre mondiale, de 1943 à 1946. De retour chez lui, Lichtenstein se cherche, donne des cours, étudie… Après s’être inspiré des dessins animés et bandes dessinées, ce n’est qu’en 1965 qu’il trouve sa ligne graphique personnelle, sa source d’inspiration principale et que son style s’affirme. Il opte pour le trait noir, les couleurs primaires, et, ce qui fait sa marque, les points et lignes de trame largement grossis. Ses tableaux font alors CRAC, POW, WHAAM ! POP… tiens, c’est ce que chantera Gainsbourg en 68. Comme ses deux illustres prédécesseurs Lichtenstein nous montre à voir notre monde tel qu’il est. Pour lui, celui de la consommation, de la publicité, des comics, de la culture américaine populaire. Après une belle, longue et créative carrière, Lichtenstein s’en est allé le 29 septembre 1997.
Ces quelques mots, sur ces 3 artistes majeurs du XXème siècle, sont scandaleusement réducteurs, nous en convenons. Nous n’avons comme excuse que de nous étonner sur ce qui les relient alors que rien de tel n’a jamais été formulé. L’exercice consiste à regarder autrement, à comparer ce qui ne devrait pas, à chercher des sens cachés, même si cela n’aboutit à rien.
Ce qui interpelle chez ces 3 artistes c’est une certaine similitude non déclarée.
Tous trois sont peintres du XXème siècle mais surtout graphistes, leurs styles très personnels sont à nuls autres comparables, et chacun de leurs tableaux résume à lui seul toute leur œuvre. Même un détail révèle l’entièreté. Le tout est en un, l’unité est le tout.
Tous trois ont peint le positif de la vie. L’humain heureux et libre au travail comme en vacances, en bonne santé, uni à ses semblables dans l’action pour Léger. La ville, les réseaux, les veines et les artères, les croisements, les échanges, le monde pour Mondrian. L’image joyeuse des BD, les jolies femmes, la publicité, l’insouciance, l’American way of life pour Lichtenstein.
Tous trois nous font écouter le bruit aussi bien que le silence. Léger, les voix des constructeurs, des cyclistes, des acrobates, des musiciens. Mondrian, celui des cordes, du jazz, de la circulation, des rythmes. Lichtenstein les onomatopées, le bruit des avions, du spray, de l’alka seltzer qui pétille.
Et bien sûr, tous trois nous montrent le rouge, le jaune, le bleu, le vert, l’orange, le noir et le blanc. La Vie quoi.
A Mons, au BAM, l’exposition Roy Lichtenstein Visions Multiples est prolongée jusqu’au 18 avril. Si ce n’est déjà fait, ne la manquez pas.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Nadiejda Khodossievitch naît en 1904, dans une famille pauvre de Biélorussie. Appelons-là Nadia.
À 15 ans, elle suit les cours de dessin et rencontre celui qui influencera toute son œuvre, Kasimir Malévitch le père de l’abstraction totale, celui qui a peint en 1915 Carré Noir sur Fond Blanc.
Elle a 20 ans et découvre dans la revue française L’Esprit Nouveau, les créations d’un certain Fernand Léger. Révélation. Elle veut le rencontrer. Il lui faudra 10 ans pour enfin arriver à Paris, via un séjour en Pologne où elle épouse le peintre Stanislas Grabowski avec qui elle a une fille, Wanda. A Paris, Nadia pousse la porte de l’Académie Moderne où Fernand Léger est professeur. Elle ne le rencontre que 3 ans plus tard. A cette époque, les œuvres de Nadia sont abstraites et ses tableaux sont accrochés aux cimaises près de ceux de Kandinsky, Leger et Mondrian ! Parmi ses amis, Picasso, Chagall, Aragon. En 1927, Nadia se sépare de son mari et peine à vivre. Elle vend quelques toiles, fait les ménages et autre petits travaux. Elle arrive enfin à suivre les cours de Léger. Elle lui écrira «Je ne m’en suis sortie que grâce à vous. Votre foi en l’avenir de la peinture est comme une corde lancée pour me sauver. Mais où dois-je aller maintenant ? Où est donc le chemin menant à l’art futur ?»
En 1933, Léger devenu l’un des peintres français les plus célèbres au monde confie à Nadia son atelier qui jouit d’une réputation internationale. Nicolas de Staël fait partie de ses élèves. Nadia continue à peindre en développant son style personnel, tout en aidant Léger dans ses grandes réalisations.
Nadia reste fidèle à ses idées. Dès 1933, contre la montée du nazisme, elle prend sa carte du Parti communiste alors que Fernand se considère humaniste de gauche. Alors qu’il s’embarque pour les USA, Nadia reste à Paris avec sa fille et entre en résistance sous le nom de Georgette Paineau. Elle change de « look » vit dans la clandestinité et échappe au loup nazi mais continue à peindre, ces oeuvres sont colorées comme un défi à la mort. Nadia peint des visages, puis la guerre finie une série de grands portraits des figures politiques du communisme qu’elle soumet à Picasso (qu’elle dessine aussi) qui lui dit : «Vous attirez le regard par une image intelligible, vous l’obligez à percevoir une forme expressive inhabituelle». Certains ont vu dans son style une influence sur le portrait de Barak Obama, dessiné par Shepard Fairey (Obey) plus de 50 ans après les siens…
Bien que tous deux mariés, Nadia et Fernand forment rapidement un couple. A l’époque elle à 24 ans, lui 47. Après 25 ans de vie commune, Nadia épouse Fernand en 1952. Ce nouveau statut l’émancipe, elle peint beaucoup. La célèbre galerie Bernheim-Jeune lui consacre une exposition, elle y accroche 75 toiles, inspirées de Léger, dans un style réalisme-socialiste.
Elle sort de l’ombre de son mentor-amant-mari. Fernand Léger s’éteint le 17 août 1955. Unique héritière du peintre, elle utilise son immense fortune. Pendant 10 ans, Nadia se consacre à l’édification du musée Fernand Léger de Biot, légué à l’État Français en 1967. Nadia Léger se lance dans une nouvelle recherche picturale qui la ramène à l’abstraction de ses débuts auprès de son premier maître, Kasimir Malévitch ! La boucle est bouclée.
A ce jour Nadia reste peu connue. Derrière les grands hommes se cachent souvent de merveilleuses femmes. Nadia en était une.
Brigitte & Jean Jacques Evrard
p.art.ages@proximus.be
Chers vous deux,
C’est plus qu’un partage. Une visite commentée par les deux conservateurs d’un musée où seraient exposées les toiles des peintres que vous auriez sélectionnés. Cet article donne envie de découvrir davantage les oeuvres de votre trio.
Et votre « saviez-vous » en « petit supplément » conclut cet article si « Leger’ en désir d’en savoir plus.
J’en viens à vous demander des détails à la manière d’un « making of » des grands films, sur le cheminement qui vous a conduit à retenir ces trois-là. Vous avez dû éliminer à plus d’une reprise l’une ou l’autre figure marquante de cette époque. Qui? Combien de temps avez vous pris pour finaliser votre sélection, s’est-elle présentée spontanément à vous.
A lire votre réponse que j’attends avec impatience.
Bonne continuation:
Jo GRYN
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Cher Jo,
Nous avons choisi ces 3 artistes car ils ont la même palette chromatique, et depuis un précédent p.art.ages sur les couleurs primaires, https://partages.art/2020/11/26/ode-aux-primaires/
Nous avions cette idée de comparer Piet, Roy et Fernand dans un article dédié.
Et puis, en visitant l’expo Lichtenstein à Mons fin décembre, quelle n’a pas été notre surprise d’entendre un visiteur s’exclamer, en entrant dans la première salle « on dirait des tableaux de Léger ».
Nous étions donc dans le bon… et voilà. Et donc, non, nous n’avons éliminé personne.
Merci pour ta fidélité.
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Merci JJ et Brigitte pour ce focus sur ces peintres qui ont influencés non seulement la peinture mais le design
contemporain
Très chouette cette plongée dans l’ art , et merci de nous avoir conseillé l’ expo de Lichtenstein
Bien affectueusement
Jacques
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merci les amis pour cette parenthèse culturelle sur ces destins croisés extraordinaires
bises affectueuses
Jean-Pierre
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