Il était anarchiste, libertaire, critique d’art, journaliste, écrivain, traducteur, artiste, collectionneur d’art, découvreur de talents… il était tout ça, et de très intelligente façon.

Félix Fénéon (1861-1944), avait le talent pour, avant les autres, repérer les meilleurs parmi les écrivains de son temps, comme Rimbaud, Mallarmé, Apollinaire, Valéry. C’était lui qui vantait les impressionnistes, puis les post-impressionnistes, pendant que les autres critiques, en étaient encore à admirer l’art académique.
Collectionneur au nez fin, il découvrit Seurat (qui fît son portrait), défendit le fauvisme, le futurisme italien et Matisse, possédait des oeuvres de Modigliani, Braque, Toulouse-Lautrec, Degas, Max Ernst, Bonnard, et, farouche anti-colonialiste, avait réuni une impressionnante collection d’art d’Afrique et d’Océanie, bien avant tout le monde. On ne parlait pas d’art premier à l’époque mais bien d’art primitif ou art nègre. Fénéon, lui, les appelait: Arts Lointains ! Précurseur. Il avait d’ailleurs écrit, en 1920, un plaidoyer resté fondateur sur les arts premiers » Seront-ils admis au Louvre? » Un demi-siècle avant les autres, c’est pas précurseur ça ?
Une partie de sa collection qui compte plus de 500 pièces a été présentée au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, de juin à septembre 2019. Sublime hommage.
En 1903, le journal français «Le Matin» crée une rubrique «nouvelles en 3 lignes», composée de brèves, offrant ainsi à ses lecteurs la possibilité d’être informés, courtement mais rapidement, des dépêches de dernière minute, reçues du monde entier, par télégraphe.
En 1906, Félix Fénéon entre en scène, anonymement. On lui confie la rédaction de quelques brèves journalières, plus ou moins inventées, qu’il rédige d’un style très personnel et décalé. Il y met un humour acide, qui se moque du conformisme bourgeois et des mœurs coincées de l’époque. Ses textes, insérés parmi les dépêches banales, surprennent souvent le lecteur qui ne comprend pas toujours l’insolite subtilité des messages.
Tout y passe de la vie de ce début du XXème siècle : l’automobile, le téléphone, l’armée, les trams et les trains, les grèves, les petits métiers, la misère des pauvres, l’alcoolisme, la bêtise, l’administration, le malheur des ouvriers, la violence faite aux femmes, aux enfants,… Au total, en quelques mois, 1210 brèves qui, ensemble, dressent un portrait véridique et sans concession de la société de l’époque. Sorte de roman fait de perles, cruelles, acides, lucides, lumineusement noires, mais tellement bien rédigées. Car Fénéon était expert en tortillement de l’écriture, en rythmes improbables, et ponctuations surprenantes.
Par l’écriture de ses nouvelles de presse, il sublime le fait divers, il crée un style littéraire original fait de très courtes histoires, rédigées en 3 lignes, pas plus, d’un total de 150 signes.
Tiens, un message de 150 signes maximum, c’est pas une sorte de tweet, ça ? Et en 1906, c’est pas exactement un siècle avant la création de Twitter par Dorsey, Williams, Stone et Glass ?
Entre mai et novembre 1906 Fénéon a commis tant de perles, aujourd’hui mieux comprises, qu’elles ont fait l’objet de plusieurs publications. Car ces brèves ont été retrouvées dans un cahier de Fénéon, dans lequel il les avait collées, découpées directement du journal Le Matin. Ce surprenant recueil (à commander ici) fût publié pour la première fois en 1948 chez Gallimard. Bien d’autres éditions ont suivi. Bel hommage. Post-mortem. Merde, nom de Dieu.
Quelques exemples:
LE SAVIEZ-VOUS ?
Paris, dimanche 20 août 1944. Les doryphores-nazis font leur barda. La choucroute commence à sentir le roussi. Il y a deux jours, qu’ Henri-Rol Tanguy, chef communiste des FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) a décrété la mobilisation générale.
Huit Français déterminés se retrouvent à 7 heures du matin, au 13 place de la Bourse, devant un bâtiment décrépi, siège de l’ancienne agence Havas, qui abrite depuis le début de la guerre l’Office Français d’Information (OFI), créé par le régime de Vichy et devenu organe de propagande allemande.

C’est l’été, il fait déjà très chaud, les rues sont désertes, on entend des coups de feu, au bout de la rue du 4 Septembre, un char allemand, immobile.
Les huit, presque tous d’anciens de chez Havas, accompagnés de deux gardiens de la paix armés, (envoyés tout exprès par le Comité Parisien de Libération), grimpent les escaliers et soudainement font irruption dans la salle de rédaction. Stupeur des journalistes présents.
«Personne ne bouge, personne ne sort… Désormais, vous travaillerez pour la France, et plus pour les Allemands», lance Martial Bourgeon, l’un des huit. Personne ne bronche. Un censeur allemand est amené et enfermé au sous-sol. Puis les huit se répartissent le travail, il faut faire vite. Bourgeon, l’aîné, prend les rênes, Gilles Martinet devient rédacteur en chef. Rapidement, on prend contact avec les équipes des journaux clandestins: Combat, Défense de la France, Le Parisien Libéré, L’Humanité…
A 11h30, la toute nouvelle Agence France Presse (AFP) publie sa première dépêche qui commence ainsi : «Grâce à l’action des Forces Françaises de l’Intérieur, les premiers journaux libres vont paraître, à la veille de l’entrée des troupes alliées, dans Paris presque entièrement libéré. L’Agence Française de Presse leur adresse aujourd’hui son premier service. Au moment où des combats se livrent encore dans la ville, et où tombent de nouveaux combattants de la Liberté,…»
Jusqu’à la fin des combats et la libération de Paris, les dépêches sont tirées sur des ronéos rudimentaires et distribuées par cyclistes aux journaux et au PC de la Résistance.
Héritière de l’agence Havas, le statut particulier de l’Agence France Presse mettra un certain temps à murir dans les esprits et l’AFP ne trouvera son indépendance réelle que le 10 janvier 1957, par une loi adoptée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale.
L’AFP est aujourd’hui l’une des trois plus grandes agences de presse internationales, avec l’Associated Press (USA) et Reuters (Canada-UK). Elle compte 2400 collaborateurs dont 1700 journalistes (en 2018), son siège social se trouve toujours au 13 place de la Bourse… dans un nouveau et grand bâtiment.

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