Uccle (Bruxelles). Uchronisons librement. Imaginez-vous, un jour de mai 1935 à l’heure du thé. Une table est dressée sur la terrasse. Porcelaines de Limoge, cristaux Saint-Louis, argenterie au monogramme des hôtes signée Wolfers, des fleurs, des fruits, des gâteaux, du champagne. Les invités attendent. Christian Dior très élégant, René Magritte costume noir et chapeau boule, David Ben Gourion et sa chevelure abondante, Raoul Dufy en aparté avec Jacques Prévert, quelques autres privilégiés, près du bar, papotent.
La Rolls Royce de la reine Elisabeth de Belgique se gare avenue Léo Errera, en face du 41, David et Alice Van Buuren accueillent celle qui est leur amie. Ils entrent dans la maison…
… la même maison que nous pouvons visiter aujourd’hui, où rien ou presque n’a changé. Si ce n’est le jardin, considérablement agrandi depuis lors. Quelle chance nous avons de compter en pleine ville cette demeure en briques rouges, de style hollandais, remplie de trésors et pensée dans les moindres détails par ce couple d’amoureux fous des arts et des artistes, autant qu’ils l’étaient l’un de l’autre. Devenue musée en 1973, la Maison Van Buuren et son jardin, offrent tant à voir. On y déambule comme on le ferait chez soi, presque. Tout y est qualité, raffinement, art. Voici le hall d’entrée, à la lumière très intime, dispensée par les vitraux des portes et de la grande fenêtre, aux couleurs chaudes le jour, et par un magnifique lustre en pâte de verre et bronze la nuit. Les boiseries en palissandre du Brésil et acajou ajoutent à cette ambiance chaleureuse. Passons dans la salle à manger, summum de l’art déco. Pensée et mise au point par Monsieur Van Buuren et ses ensembliers-décorateurs, elle sort des ateliers de l’ébéniste Joseph Wynants qui était établi à Malines. Ensemble de bois précieux, les mêmes que ceux du hall, additionnés de sycomore et d’ébène de Macassar, la pièce baigne dans une lumière dorée reposante.
Au plafond, en crépis bleu pâle, trois larges plafonniers du style de l’Ecole d’Amsterdam, au design japonisant, remarquables. Des tapis intitulés « Galerie Botanique » d’après des cartons de Maurice Dufrêne, figure majeure de l’art déco et de l’Exposition de Paris en 1925, rayonnent leurs couleurs et leur graphisme audacieux et offrent un contraste dynamique et vivifiant à cette pièce centrale de la demeure. Aux murs des tableaux d’un ami du fils de l’ébéniste, Gustave van de Woestyne, peintre symboliste. David Van Buuren, son mécène, lui acheta une trentaine de tableaux dont beaucoup enrichissent les murs de la maison. A côté, le salon et son cosy-corner réservé à la lecture. Tous les meubles, pièces uniques selon des croquis préparés par Monsieur Van Buuren, sont réalisés en bois précieux par André Domin et Marcel Genevrière, autres figures majeures de l’art déco français. Les coussins sont signés Sonia Delaunay et Jaap Gidding. Dans le salon de musique, un piano ayant appartenu à Erik Satie sur lequel les tous premiers participants au concours Reine Elisabeth, venaient jouer. D’autres pièces, vestibules, bureaux et recoins regorgent aussi d’œuvres séduisantes qui font de cette maison un must à visiter ou à revoir.
Avant de quitter la maison pour le jardin, il ne faut pas manquer la projection d’un imagier sonore aussi créatif qu’instructif sur la vie de David et Alice Van Buuren.
Le jardin, plutôt les jardins, valent eux aussi la visite. Si à l’achat, début des années 30, le terrain ne faisait que 12 ares, les Van Buuren ne laissèrent pas passer les occasions d’agrandir leur domaine. Les jardins s’étendent aujourd’hui sur plus d’un hectare d’où on peut contempler l’architecture de la villa, assez discrète et typiquement hollandaise, faite de briques rouges rejointoyées en creux. La roseraie Art Déco et le jardin pittoresque adjacent ont été mis en œuvre quatre ans avant la construction de la maison. On peut y admirer quelques essences rares, citronnier sauvage de Chine, érables centenaires du Japon, arbres nains comme le mugo-mughus qui peut vivre plus de 1000 ans, le picea-repens et le pinus contorta. Une grande roseraie, aménagée sur un ancien court de tennis, servit longtemps aux garden-parties. A chaque parterre sa couleur. Toutes les roses sont des variétés anciennes à pedigree. Voici le labyrinthe* du Cantique des Cantiques, dessiné par le grand paysagiste René Pechère, expert en jardins historiques qui fut mandaté par Alice Van Buuren en 1968 pour créer ce dédale sur un are, au trajet de près de 500 mètres en sept salles de verdure. Un an plus tard, en hommage d’amour à son époux adoré, Alice Van Buuren confia au même Pechère la réalisation d’un jardin de cœur. C’est dans cet enclos secret et ravissant, où il est bon de se reposer et de méditer, qu’il est recommandé de terminer la visite de cette propriété hors du commun, aussi remarquable dedans que dehors.
En 1970 Alice Van Buuren créa une fondation privée dont elle sera présidente jusqu’à sa mort en janvier 1973 et selon ses vœux la villa et ses jardins ont été ouverts au public en 1976.
Pour visiter ce superbe musée-maison, allez sur le site
*Ce labyrinthe renvoie à un p.art.age précédent à lire ICI.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Quelques temps avant sa mort en 1931, le violoniste et compositeur belge Eugène Ysaÿe alors conseiller musical de la Reine Elisabeth de Belgique, elle-même mélomane et violoniste, lui donne l’idée de créer un concours destiné à récompenser les jeunes interprètes. Il verra le jour en 1937 sous le nom de concours Ysaÿe. Interrompu par la guerre il reprendra en 1951 sous le nom de Concours Reine Elisabeth, toujours actuel et aujourd’hui mondialement connu.
Le concours est ouvert en alternance aux violonistes (depuis 1937), aux pianistes (depuis 1938), aux chanteurs (depuis 1988) et aux violoncellistes (depuis 2017). La sélection des candidats se déroule en 4 étapes, une première présélection sous forme de vidéos envoyées du monde entier par les participants. Les meilleurs sont retenus, ils devront alors présenter un récital de 20 minutes. 24 d’entre-eux seront sélectionnés pour la demi-finale qui se déroulera en public devant le jury, au Flagey. 12 d’entre-eux, seront retenus pour la grande finale qui, elle, se passe à Bozar avec orchestre symphonique, dans la salle Henri Le Bœuf durant toute une semaine, à raison de 2 candidats par jour, rendez-vous incontournable du tout Bruxelles culturel. Le concours se distingue par la façon dont sont jugés les candidats. Les jurés décernent leurs notes sans en référer, ni en discuter, avec les autres membres du jury. Ce n’est qu’une fois tous les candidats passés sur scène, que l’ensemble des notes confidentielles sont assemblées et que les 6 lauréats sont annoncés, aux alentours de minuit le samedi qui termine cette semaine exaltante.
Depuis 1978, toute la semaine de la finale est retransmise en direct, et dans son entièreté, sur les ondes de la radio et de la télévision nationales. Aujourd’hui en streaming, radio et télévision. Une semaine plus tard, un coffret de CD regroupant les principaux lauréats est déjà disponible. En 2012, pour célébrer les 75 ans du concours, une pièce commémorative de 2€ fut émise.
Cette année 2020 et pour la première fois depuis la fin de la guerre, le Concours Reine Elisabeth a été annulé en raison de la pandémie Covid-19.
Magnifique… et surprenant.Toujours super bien ecrit et documente vos articles..Merci pour cette belle decouverte
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Bravo,pour ce partage, cette promenade bucolico-artistique en ce joyau; empreinte d’histoire et surtout de passions . MercI .
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