Le Sphinx de Delft

De Johan Vermeer on ne connait pas grand-chose, sinon que son enfance et adolescence furent assez peu agréables, grand-père malhonnête, père violent, dispendieux, ruiné.

Vermeer a passé toute sa vie à Delft où l’on trouve quelques petites traces de lui dans certains registres. Tout ou presque sur sa vie ne sont qu’hypothétiques déductions et hasardeuses suppositions.

On sait que le peintre n’a vécu que 43 ans, qu’il s’est marié en 1653, qu’il a eu onze enfants dont quatre morts en bas âge, qu’il n’a jamais été riche, qu’il vendit peu et qu’il mourut le 15 décembre 1675, ruiné. Vite oublié, sauf de quelques collectionneurs avertis, il ne revient sur la scène publique qu’au début du XIXème siècle quand la Mauritshuis de La Haye acquiert, en 1822, la Vue de Delft, considérée alors comme la toile « la plus importante et la plus célèbre de ce maître dont les œuvres sont rares », pour la somme, colossale à l’époque, de 2 900 florins.

VERMEER VUE DE DELFT

Puis, en 1866, Théophile Thoré-Bürger, journaliste français, lui consacre quelques articles et le surnomme le Sphinx de Delft en raison du mystère pesant sur la vie de Vermeer. Il n’en faut pas plus. Réveil artistique soudain, admiration des impressionnistes et écrivains en vue, chasse aux œuvres rares, convoitise des marchands et excitation des faussaires.

De sa production, estimée entre quarante-cinq et soixante tableaux, il ne reste qu’une petite quantité, dont trente-quatre lui sont formellement attribués, et trois sont toujours en ballotage !

Ses premières œuvres – connues – sont de grands formats et traitent d’histoire, de mythologie et de religion. Leurs compositions classiques sont des inventions de l’artiste.

Mais ce qui distingue Vermeer de tous les autres, réside dans son talent à représenter des scènes domestiques. Sur les trente-quatre tableaux qui nous sont parvenus, vingt-six nous montrent des intérieurs intimistes. Ces mises en scène, car c’est de cela qu’il s’agit, répondent au même schéma: un avant-plan sombre (élément qui donne la profondeur), un éclairage latéral souvent à travers les vitraux (et toujours venant de gauche), un ou deux personnages (seulement deux tableaux avec un troisième homme, peu visible),… Dans l’ensemble de ces tableaux de scènes, on compte quarante et un personnages, trois fois plus de femmes que d’hommes et aucun animal. Quelques objets et vêtements, luxueux alors que le peintre n’était pas riche, sont régulièrement représentés, et les étoffes, tissus et tapisseries font partie de chaque tableau, les carrelages au sol – on en compte 4 différents – sont toujours les mêmes. Les thèmes sont récurrents, écriture, lecture, musique, boisson. Bref, un canevas scrupuleusement respecté qui fait que chaque œuvre semble dialoguer avec toutes les autres.

VERMEER 10On voit ainsi que Vermeer a peint tous ces tableaux intimistes dans sa propre maison, avec les meubles, objets, tapisseries, vêtements qui étaient sa propriété. Même les personnages qui ont posé pour lui, plus d’une fois dans différents tableaux, sont sans doute issus de sa famille.

Ces compositions semblent être des natures mortes-vivantes. Point d’oxymore ici car il s’agit bien de natures mortes, ce style pictural qui permet aux peintres de montrer leurs talents dans la reproduction des textures, des matières, des reflets, des lumières (et Vermeer le fait avec génie), mais bien vivantes tant les personnages sont rendus dans leurs expressions les plus naturelles, quasi surnaturelles.

Devant ces tableaux, on ne sait si on est spectateur, visiteur, acteur, observateur, voyeur. Et la relation qui nous lie à ces scènes de vie est indéniable et fascinante, car d’un seul coup nous voilà plongés dans l’intimité des personnages, dans leur vie où tout est serein, calme, mystiquement silencieux, comme arrêté.

Qu’a donc voulu montrer Vermeer, quel est son message, tant de fois répété ? Il n’est plus là pour le dire et chacun y trouvera ce qui lui convient.

Justement, au Rijksmuseum d’Amsterdam, du 10 février au 4 juin prochains, 23 des 34 tableaux connus de Vermeer seront présentés ensemble pour la toute première fois. Jamais autant de ses œuvres n’ont été vues en un même lieu. Il s’agit donc d’un événement majeur, à ne manquer sous aucun prétexte. Occasion merveilleuse d’admirer, sans doute une fois dans une vie, de près, en vrai, les flous magiques, les touches si sensibles, lumineuses, irréelles même, du Sphinx de Delft.

Réservation obligatoire ICI.

Et en avant-goût, cliquez sur cette photo.

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LE SAVIEZ-VOUS ?

Hermann Göring, bras droit d’Hitler, n’avait que des défauts. Excessif en tout, il vivait sur un grand pied, possédait villa et maison et pas moins de 7 pavillons de chasse. Il s’était fait construire dans un parc un palais fastueux où il organisait réceptions flamboyantes et chasses sanguinaires. Excessif en tout, obèse et drogué, il se pavanait dans des uniformes outranciés, inventés par lui. Un homme vaniteux, arrogant, égocentrique, vantard, criminel. Une ordure.

Il se targuait d’être grand spécialiste de l’art de la renaissance et collectionnait les tableaux qu’il volait aux états, aux marchands et collectionneurs juifs comme Paul Rosenberg et la famille Rothschild. Sans retenue, il devint insatiable à tel point que le Jeu de Paume à Paris était utilisé pour entreposer les œuvres spoliées avant de les envoyer chez lui en Allemagne. A la fin de la guerre, l’inventaire Göring comptait 250 sculptures, 168 tapisseries et pas moins de 1376 tableaux remarquables.

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Le Christ et la femme adultère

Et, la plus grande fierté du criminel nazi, son œuvre favorite, était un tableau qu’il s’était, chose rare, acheté légalement – pour 1,6 millions de florins, ce qui ferait aujourd’hui 6,5 millions d’€ – auprès du marchand d’art, artiste raté et faussaire de surcroit, Han Van Meegeren, un tableau intitulé « Le Christ et la Femme Adultère », signé Johan Vermeer !!!  

Après la guerre cette toile, et tant d’autres, est retrouvée dans une mine de sel. Les archives, qui ont échappé à la destruction, montrent que Van Meegeren a vendu à Göring un chef d’œuvre national et pour cela le faussaire risque la peine capitale.

VAN MEEGEREN
Van Meegeren lors de son procès. Photo, Ben van Meerendonk

Durant le procès, Van Meegeren, sentant son exécution inéluctable, avoue la supercherie et décrit tous les autres faux Vermeer qu’il a peint. On ne le croit pas. Il propose donc de peindre, en prison et sous les yeux de six témoins, un ultime Vermeer de son cru.

SAVIEZ VOUS 1Ce sera «Jésus et les Docteurs», une œuvre médiocre dont on peut se demander (celle-là comme les autres) comment les experts ont pu croire qu’il s’agissait là de copier Vermeer ! Il suffit de comparer un détail d’un tableau du maître et d’un semblable du faussaire pour se rendre compte combien ces soi-disant experts avaient besoin de lunettes. Vermeer est tout en finesse, Van Meegeren tout en lourdeur.

SAVIEZ VOUS VERMEER TWIN

De faussaire bon pour l’échafaud voilà Van Meegeren transformé en héros national pour avoir dupé le Reichsmarschall tellement imbu de lui-même.   

Un témoin racontera que lorsque Göring apprit que son tableau préféré était un faux, « il avait l’air pour la première fois de découvrir qu’il y avait du mal dans le monde. » Est-ce vrai… ou faux ? Allez savoir !

 

 
Brigitte & Jean Jacques Evrard
p.art.ages@proximus.be

4 commentaires sur “Le Sphinx de Delft

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  1. J’ai toujours ete fascine par Vermeer, la lumiere, le caractere ‘flottant’ des visages et des formes. Une finesse extreme dans la description du banal. J’aimerais bien aller a Amsterdam…mais c’est trop loin, malheureusement..

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