De Shin Hanga à Monet-Mitchell

Pendant près de 250 ans, le Japon, quasiment fermé, a bénéficié d’une relative paix intérieure et d’une belle prospérité économique. Cet isolationnisme, appelé là-bas sakoku, a ainsi permis d’affiner les arts et techniques artisanales de façon remarquable.

LA VAGUE
La célèbre vague par Katsushika Hokusai (1830)

Durant l’ère Meiji, sous l’égide de l’empereur du même nom, qui suivit (1868/1912) le Japon s’est ouvert au commerce et à la culture et c’est sans doute la France qui, avec des événements comme les quatre fabuleuses expositions universelles qui se sont succédé (1867 – 1878 – 1889 – 1900), a su tisser avec le Pays du Soleil Levant de très nombreux échanges et d’étroites collaborations.

En cette fin du XIXème siècle, les réalisations artistiques nipponnes de grande qualité inondèrent littéralement le marché français.

Art Nouveau à Paris
Les entrées du métro parisien créées par Hector Guimard en 1900 font toujours le bonheur des touristes

C’est sur ce terreau exotico-esthétique, que l’on nomma Japonisme, qu’a germé l’Art Nouveau, véritable révolution artistique qui trouve ses sources d’inspiration dans la nature. Ainsi les courbes gracieuses, les plantes à l’allure exotique, nénuphars, orchidées, iris, ombrelles, clématites, glaïeuls décorent les vases signés Gallé, Daum, Majorelle. Tout comme les animaux et insectes merveilleux, aux couleurs chatoyantes, serpents, lézards, libellules, hippocampes,… deviennent bijoux, accessoires de mode, vitraux, décorations. L’architecture de Guimard se montre exubérante, flamboyante, colorée.

Les peintres et affichistes deviennent eux aussi les heureuses victimes de cette mode effrénée. Ils puisent leur inspiration dans les Ukiyo-e (浮世絵 terme japonais signifiant «image du monde flottant») et les Shin Hanga (新版画, littéralement « nouvelles gravures »), que sont les célèbres estampes, cette technique ancestrale qui permet l’impression en série, au départ de plaques en bois gravées, de sublimes images de la vie et des paysages japonais.

Madame Monet en costume japonais
En 1875, Monet peint son épouse habillée en Japonaise !

Vincent Van Gogh, Manet, Cézanne, Signac et surtout Monet en seront les plus fervents admirateurs et remarquables interprètes.

Sur la Côte d’Azur au début de 1888 Claude Monet, le maître de l’impressionnisme, peint une trentaine de toiles fortement influencées par l’estampe japonaise, dix d’entre elles sont achetées par Théo Van Gogh, le frère de Vincent, qui les présente l’année suivante dans une importante galerie parisienne. C’est un succès.

Monet ne cessera plus de peindre la nature, la beauté du soleil changeant sur une cathédrale, une meule de foin, un arbre, la mer, et son merveilleux jardin de Giverny… pour, au fil des mois et des ans, passer d’une peinture figurative à une interprétation de plus en plus abstraite avec, en point d’orgue, ses merveilleux et mondialement admirés nymphéas.

MONET ET MITCHELL AU TRAVAIL
Claude Monet et Joan Mitchell dans leurs ateliers

En art, il est toujours question d’inspiration, d’influences, de transmission et, si on remarque que l’art Japonais a grandement influencé Monet, on est aussi émerveillé par le travail d’une artiste américaine, Joan Mitchell. Elle est née à peine un an avant le décès de Claude Monet survenu en 1926. Mais c’est dans les années 50, qu’aux USA, les derniers nymphéas peints par Monet sont considérés par les peintres et critiques d’art américains, comme les précurseurs de l’abstraction.

Même si Joan Mitchell revendiquera une totale indépendance artistique, c’est dans les œuvres de Monet qu’elle tirera son inspiration, allant même jusqu’à s’établir en France, à Vétheuil, dans une propriété proche de celle où vécut Monet à la fin du XIXème. Là, dans la lumière qui émerveilla tant Monet, face aux mêmes paysages, Mitchell donnera à voir avec force et passion sa vision colorée du monde. Sublime, éclatant et rafraîchissant hommage à Monet.

Par hasard, deux événements remarquables, l’un à Bruxelles, l’autre à Paris se tiennent actuellement.

SHIN HANGAAu Musée d’Art et d’Histoire de Bruxelles (Cinquantenaire) jusqu’au 15 janvier 2023, plus de 200 estampes japonaises Shin-Hanga, superbement présentées, montrent à voir le Japon d’avant-guerre avec ses paysages sous la neige, sous la pluie, sous la lune, ses cerisiers en fleurs, ses oiseaux, ses scènes de vie, ses acteurs de théâtre, ses portraits de femmes,… rien que du beau. Et, à ne pas manquer, un petit film ancien qui montre et explique comment sont réalisées les estampes, travail minutieux et superbe symbiose entre le dessinateur, le graveur, l’imprimeur et l’éditeur, tous quatre à talent égal. Un régal.  

 

MONET MITCHELLA la Fondation Vuitton à Paris, Monet-Mitchell se tiendra jusqu’au 27 février 2023, une exposition musclée qui réunit pour la toute première fois les « derniers » Monet, peints à Giverny et les œuvres de Joan Mitchell, principalement conçues à Vetheuil. Dialogue coloré entre deux grands artistes, confrontation sensible de thèmes semblables vus par l’ancien et la moderne.

Et, cerisier japonais sur le gâteau, cette exceptionnelle exposition est présentée dans ce beau bateau, signé Frank Gehry, qui semble flotter sur les frondaisons du bois de Boulogne. Sans égal. Un régal.

 

LE SAVIEZ-VOUS ?

Monet collectionnait les estampes japonaises. Dans une lettre à son fils, le peintre impressionniste Camille Pissarro écrit « Hiroshige est un impressionniste merveilleux, moi, Monet et Rodin en sommes enthousiasmés. »

MONET GIVERNY ESTAMPE YESTERDAY.De retour de son exil à Londres durant la guerre franco-prussienne, Monet a raconté avoir trouvé en Hollande, chez un épicier de village, ses premières estampes arrivées là avec quelques denrées des îles et des possessions hollandaises d’outre-mer. C’était en 1871.

Il dit aussi : « J’eus la bonne fortune de découvrir un autre lot d’estampes à Amsterdam dans une boutique de porcelaine de Delft. Je marchandais, sans succès, quand soudain j’aperçus sur un rayon, en contrebas, un plat rempli d’images. Je m’approche : des estampes du Japon ! Le marchand, peu au fait de la valeur de ces estampes, me les a cédées alors avec le pot. »

Collectionneur acharné, Monet fréquente les antiquaires, les expositions d’estampes, alors fréquentes à Paris. Il privilégie les paysages, les éléments naturels, les jolies femmes surprises dans leurs gestes quotidiens, les animaux… mais point les portraits d’acteurs ni les scènes érotiques !

MONET GIVERNY ESTAMPE TODAYA la fin de sa vie, Claude Monet possédait 231 estampes, parmi les plus belles dont beaucoup des trois plus grands maîtres, Hokusai, Hiroshige et Utamaro.

Toutes ont été gardées et léguées par son fils Michel à l’Institut des Beaux-Arts. Elles sont aujourd’hui accrochées dans la célèbre maison du peintre à Giverny où on peut les admirer.

Il y en a 54 rien que dans la salle à manger… les autres dans presque toutes les pièces y compris dans les cabinets de toilette. Raison de plus d’aller visiter cette splendide demeure et son merveilleux jardin.

 
Brigitte & Jean Jacques Evrard
p.art.ages@proximus.be

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