Les attributs du pouvoir

Depuis des millénaires les grands de ce monde, pharaons, empereurs, shoguns, sultans, évêques, présidents, rois, vizirs, papes, ducs, généraux, maharajas, cardinaux, ambassadeurs, ministres, etc, etc… (longue est la liste des titres), ont aimé se voir représentés en portrait ou en statue. Orgueil et narcissisme sans doute mais surtout une excellente façon de s’auto-crédibiliser auprès de leurs sujets, et des autres grands, souvent leurs concurrents. Sans oublier l’avantage de s’inscrire dans l’histoire pour le plus longtemps possible.

Se montrer est une chose, y adjoindre des symboles revêt une signification bien plus importante car ces objets – ou animaux – démontrent, de façon évidente ou induite, les qualités de celui (souvent) – ou de celle (plus rarement) – auxquels ils sont associés.

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Déjà les Pharaons égyptiens n’étaient jamais représentés sans une série d’attributs (appelés regalia, ornements ou insignes royaux), comme on peut les voir sur la statue de Ramses II au musée égyptien de Turin (Italie).

Ramsès II assis sur son trône, chaussé de ses sandales, coiffé d’un khepresh muni de l’uræus (cobra) et tenant le sceptre-héqa et l’étui-mekes – XIXe dynastie.

 

Cette singularité finalement bien humaine, pour ceux qui se prenaient pour des dieux, a eu pour conséquence de donner énormément à faire aux artistes qui ont eu le talent d’adjoindre au sujet principal de leurs œuvres des symboles et attributs compréhensible aux initiés seulement ou directement liés au personnage et évidents de signification pour tous.

Sous toutes les époques, toutes les latitudes, on a vu les artistes les plus talentueux avoir leurs entrées dans les cours et les palais. Les puissants aiment à s’entourer de ce qui il y a de mieux. Bénéfique attitude qui a fait – et fait toujours – le bonheur des musées et des amateurs d’art.

HUGUES CAPET
Hugues Capet 
Enluminure ornant un manuscrit du XIIIe ou XIVe siècle,

En guise de démonstration, penchons-nous sur l’évolution des portraits officiels des grands rois de France et leurs successeurs républicains. Impossible de remonter aux premiers rois, Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens, leurs illustres portraits, pour autant qu’ils aient existé dans le style qui nous importe ici, ne nous sont pas parvenus. Il y a bien quelques représentations sous formes d’enluminures (Hugues Capet qui régna de 987 à 996), sur lesquelles les attributs du pouvoir sont sommaires, voir absents.

FRANCOIS 1ER
François 1er par Jean Clouet (circa 1530)

Il faut attendre les Valois avec Louis XI, Charles VIII, Louis XII et bien sûr François 1er pour que les portraits deviennent intéressants, truffés de symboles… et superbement peints.

Louis XIV, Roi Soleil, couronné à 5 ans, régna 72 ans. Se considérant de droit divin, il est devenu l’archétype du monarque absolu. Le nec plus ultra des rois. Il n’en fallait pas moins pour que cette illustre personne ait une représentation picturale à la mesure de sa démesure.

LOUIS XIV ET XVI

C’est à Hyacinthe Rigaud que l’on doit ce tableau froufroutant et grandiloquent de ce bon Louis (1701). La pose majestueuse et suffisante, la perruque imposante, le visage vieux mais les jambes jeunes, tel est représenté le Roi Soleil au milieu de la toile entouré de ses nombreux accessoires symboliques. L’épée de France, pour sa puissance militaire ; la main de la justice pour son pouvoir à juger, punir, gracier ; le sceptre symbole de son autorité sur les sujets de France ; la couronne; le trône ; le manteau d’hermine brodé de fleurs de lys, emblème des rois capétiens ; le collier d’or et la croix de l’ordre du Saint-Esprit (fondé par Henri III en 1579), la colonne en arrière-plan, vertical symbole de sa solidité et de sa puissance. N’en jetez plus, la cour royale est pleine.

Le dernier numéro de la longue série des Louis, le seizième, fut peint en 1777 par Joseph Siffred Duplessis. Louis XVI est représenté en habit de sacre, (tenue de l’Ordre de St-Louis), sceptre en main, couronne royale au second plan, dans une posture majestueuse. Mobilier doré, vêtement chatoyants, hermine, fleurs de lys, tapisseries, satin, plumes au chapeau, colonne imposante, draperies… rien ne manque pour présenter le jeune roi à la postérité. Il y en a tant qu’on ne compte pas le nombre de copies de ce tableau mythique du dernier Roi de France puis des Français de l’Ancien Régime. En France chaque musée doit sans doute avoir le sien.

La fin sanglante de la royauté n’a pas sonné le glas des tableaux édifiants. Car voici venu le temps du Premier Empire et de Napoléon 1er, dont l’auto-couronnement nous vaut un tableau remarquable signé Jacques-Louis David, peintre officiel de Bonaparte ainsi qu’une série de toiles toutes aussi remarquables de l’Empereur en diverses postures majestueuses.

Le dernier Roi ayant été coupé en deux, puis jeté dans la fosse commune du cimetière de la Madeleine, tous les symboles de la monarchie multi-séculaire se sont retrouvés eux-aussi enterrés. Il a donc fallu en inventer de nouveaux. Napoléon s’en chargea.

NAPOLEON EN 4 IMAGES

Il se présente en héritier de l’Empire romain et de Charlemagne et choisit l’aigle déployée comme symbole principal (Hitler le reprendra à son compte), ainsi que le manteau rouge en référence à ceux portés par les empereurs romains. Il y ajoute les abeilles pour remplacer les fleurs de lys des Capétiens. Il garde toutefois la main de la justice pour montrer qu’il est l’héritier des pouvoirs passés et successeur des trois dynasties précédentes, Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens. Il porte la couronne de lauriers et sur certains tableaux on le voit tenir en main le globe surmonté d’une croix, symbole de pouvoir universel et du christianisme. Dans la version plus militaire, on remarque une horloge, signe de la maîtrise du temps. Il devait s’y connaître, lui qui a tant fait en si peu de temps.

Après Waterloo, tout change, y compris pour les portraits officiels républicains. Il suffit de regarder ceux de Napoléon III, Raymond Poincaré, Georges Pompidou et François Hollande pour constater une désescalade des attributs du pouvoir avec la banalité absolue chez l’avant dernier président qui se fait tirer le portrait loin de l’Elysée, avec juste les drapeaux français et européens en flou et presque hors champ. Démonstration évidente que ces représentations picturales reflètent bien celui ou celle qu’elles montrent au public.

PRESIDENTS REPUBLICAINS

On ne peut pas finir cet inventaire sans parler du président actuellement en fonction. Rupture avec son prédécesseur et benchmarking avec le précédent potus.

TRUMPMis côte à côte, on constate que Monsieur Macron se veut plus proche d’Obama que de Trump qui lui s’est fait photographier devant le drapeau américain, épinglette du même symbole à la boutonnière. On ne peut pas dire qu’il n’insiste pas sur son motto « America first« .

Le huitième de la cinquième se poste débout devant son bureau, (c’est une innovation), les mains fermes sur le rebord ; le visage avenant, (les précédents étaient sérieux comme des papes), la légion d’honneur à la boutonnière ; la fenêtre est ouverte sur le ciel, sur le monde ; les drapeaux français et européens au même niveau de part et d’autre, il est le trait d’union qui construit l’Europe ; deux iPhones derrière sa main droite, il est actuel et dynamique ; un livre ouvert, « Les mémoires de guerre » de Charles de Gaulle, il s’inscrit dans la continuité de la figure tutélaire ;  une horloge ancienne, il est aussi maître du temps et respecte les traditions républicaines ; deux ouvrages littéraires près de sa main gauche, il est cultivé.

OBAMA ET MACRON

On le voit, derrière tous ces portraits, de tous temps, il y a des artistes, sculpteurs, enlumineurs, peintres, et maintenant photographes. Ces artistes qui ne se contentent pas de représenter au mieux la réalité mais d’y adjoindre des signes et des symboles sans doute en respect pour cette phrase célèbre que Confucius écrivit il y a 2.500 ans «Les signes et les symboles gouvernent le monde, pas les mots ni les lois»

 

LE SAVIEZ-VOUS ?

En 2004, l’ile de Jersey célébrait le 800ème anniversaire de son allégeance à la Couronne Britannique. Pour célébrer cet événement, le Jersey Heritage Trust demande au photographe d’origine canadienne Chris Levine un portrait de la Reine Elisabeth II.

Levine est spécialiste de la lumière et utilise des éclairages au laser qui donnent une lumière exceptionnelle. Alors que l’agenda de la Reine est fixé deux ans à l’avance, il lui est donné, une « fenêtre » d’une heure trente, trois mois après sa demande. La Reine est enthousiasmée par ce projet et fait demander ce qu’elle doit porter pour la prise de vue. Le photographe souhaite que sa majesté soit vêtue de blanc, qu’elle ait la couronne en perles et diamants qu’elle ne porte que pour l’ouverture du Parlement et qu’une série de châles soit à disposition pour choix sur place.

PRISE DE VUE ROYALE
Chris Levine au travail avec sa très gracieuse majesté.

Chris Levine a dit «quand j’ai vu la Reine arriver portant les vêtements et couronne que moi j’avais choisi, j’ai défailli».

Il ajoute : «Je voulais que son portrait en hologramme ressemble à une icône, qu’elle y resplendisse en toute simplicité». Le photographe utilise une caméra scanner 3D montée sur rail en arc de cercle qui prend 200 images en 8 secondes. Il fait quantité d’essais et parfois, le Reine ferme les yeux pour se reposer. C’est cette image que le photographe, frappé par la beauté et la sérénité de la Reine, gardera avec le consentement de sa très gracieuse majesté, of course.QUEEN ELISABETH

Voilà ainsi un portrait officiel exceptionnel en rupture totale avec ceux du passé où, une reine iconique aux plus de soixante années de règne, s’offre au regard des autres les yeux fermés, comme si elle regardait en elle-même toutes ses années passées faites de dévouement, d’épreuves et de joies.

 

Brigitte & Jean Jacques Evrard
p.art.ages@proximus.be

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